Etat des lieux de l’indépendance de la justice au Burundi

mardi 19 janvier 2021,par Jean-Bosco Nzosaba

Observatoire de l’Action Gouvernementale, asbl
Siège social : Bujumbura - Burundi
B.P. 3113 Bujumbura * Tél : 22 21 88 20
E-mail : oag@cbinet.net * Site Web : www.oag.bi

Etat des lieux de l’independance de la magistrature au Burundi

Bujumbura, juillet 2020

2

Remerciements.

Au terme de la présente analyse, l’Observatoire de l’Action Gouvernementale tient à remercier Monsieur Edouard MINANI, consultant, pour avoir accepté de collaborer avec l’OAG dans l’élaboration de cette analyse.

Ses remerciements vont également à l’endroit des membres du comité de pilotage/lecture du rapport d’observation dont les noms suivent :

Monsieur Michel MASABO, Professeur à l’Université du Burundi ;

Maître Emmanuel HAKIZIMANA, Membre de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale ;

Monsieur Jean Bosco NZOSABA, Chargé des Programmes de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale.

Table des matières
N° Matière Page
Remerciement……………………………………………………. 3
Table des matières……………………………………………. .. 5
Sigles et abréviations…………………………………………… 7
RESUME EXECUTIF………………………………………….…. 9
0. INTRODUCTION GENERALE………………………...……..… 15
0.1 Contexte et justification…………………………………………... 15
0.2 Objectifs……………………………………………………………. 16
0.3 Résultats attendus………………………………………………… 16
0.4 Méthodologie………………………………………………………. 17
CHAPITRE 1 : CADRE JURIDIQUE RELATIF A
L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE……………….. 18
I.1 Précisions terminologiques………………………………………. 18
I.2 Les instruments juridiques internationaux……………………… 21
I.3 Les instruments juridiques nationaux………………………….. 22
CHAPITRE 2 : ETAT DES LIEUX DE L’INDEPENDANCE
DE LA MAGISTRATURE AU BURUNDI………………………. 26
II.1 Indépendance institutionnelle……………………………………. 27
II.2 Indépendance décisionnelle……………………………………... 45
II.3 Le rôle des syndicats : pas assez visible………………………. 52
II.4 Le rôle de l’avocat dans l’indépendance de la justice : rôle
insuffisant………………………………………………………….. 53
II.5 La place du Ministère public : question non clairement
tranchée……………………………………………………………. 54
II.6 Des pratiques entravant l’indépendance de la magistrature…. 55
II.7 Les facteurs destructurant l’indépendance de la justice……… 59

5

CHAPITRE 3 : PROPOSITIONS D’AMELIORATION DE
L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE……………….. 75
III.1 Cadre normatif : besoin d’harmonisation en vue de
l’indépendance de la magistrature………………………………. 75
III.2 La récusation et l’abstention du magistrat : des mécanismes
juridiques en besoin d’amélioration…………………………….. 81
III.3 La gestion « pédagogique » des relations sociales : une
initiative personnelle du juge pour améliorer l’image de la
justice………………………………………………………………. 83
III.4 Améliorer les relations administratives entre le pouvoir
judiciaire, le législatif et l’exécutif………………………………... 85
III.5. La rémunération et l’environnement de travail des juges :
Conditions indispensables à l’indépendance de la
magistrature……………………………………………………….. 89
III.6 La formation des magistrats : une nécessité vitale……………. 90
III.7. L’examen de la conduite des juges : une affaire du pouvoir
judiciaire……………………………………………………………. 93
III.8. La lutte contre la corruption dans le secteur judiciaire………... 95
CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS……. 97
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………. 101

SIGLES ET ABREVIATIONS

Art.  : Article

BOB  : Bulletin Officiel du Burundi

CEDJ  : Centre d’Etudes et de Documentation juridiques
CFPJ  : Centre de Formation Professionnelle de la Justice

CNTB  : Commission Nationale des Terres et autres Biens

COCJ  : Code de l’Organisation et de la Compétence Judiciaires

CPC  : Code de Procédure Civile
CPP  : Code de Procédure Pénale

CSTB  : Cour Spéciale des Terres et autres Biens

DGAP  : Direction Générale des Affaires Pénitentiaires

DUDH  : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
EAC  : East African Community

Etc.  : Et cætera

INSS  : Institut de Sécurité Sociale

IOJT  : Organisation internationale pour la formation judiciaire
N°  : numéro :

OAG  : Observatoire de l’Action Gouvernementale

p.  : page

SNL  : Service National de Législation
SYMABU  : Syndicat des Magistrats du Burundi

UPRONA  : Union pour le Progrès National

Vol  : volume

RESUME EXECUTIF

• Principaux constats

1. Les objectifs de l’étude sont les suivants : (1) Mettre en exergue l’état des lieux de l’indépendance de la justice au Burundi, (2) Mettre en relief le pas franchi en matière de l’indépendance de la justice, (3) Relever, le cas échéant, les entraves à l’indépendance de l’indépendance de la justice, (4) Identifier les mécanismes pouvant être exploités en vue de renforcer l’indépendance de la justice.

2. Les réflexions qui ont servi à la production de ce document ont été menées à partir de la revue documentaire et de la revue juridique.

3. L’indépendance judiciaire exige qu’un juge décide sans crainte ni favoritisme, même devant des opinions contraires très répandues, que ce soit celles de ses collègues juges, du gouvernement, du public, des médias ou de groupes d’intérêts.

4. La séparation des pouvoirs est la première garantie de l’indépendance de la magistrature par rapport au pouvoir politique.

5. La séparation des pouvoirs est fortement déséquilibrée en faveur de l’exécutif et aux dépens du pouvoir judiciaire : celui-ci dépend structurellement du pouvoir exécutif. Cela transparait notamment à travers le mode de recrutement, la nomination des juges et leur mode de promotion ainsi qu’une durée de mandat sans garantie.

6. Les conditions de nomination des magistrats ne sont pas de nature à garantir leur indépendance au Burundi : les magistrats de toutes les juridictions sont nommés par l’exécutif.

7. Il est difficile, voire impossible, de connaître les critères de nomination ou de promotion.

8. Le principe de l’inamovibilité du juge est inconnu ou plutôt méconnu dans certains de ses aspects dans la réalité de la pratique burundaise.

9

9. La Cour suprême n’a pas de contrôle juridictionnel en termes de recours des décisions rendues par la Cour constitutionnelle et la Cour spéciale des terres et autres biens, mais aussi n’a aucun pouvoir administratif sur elles.

10. Alors que statuer sur la recevabilité est une prérogative naturelle et préalable du juge, les juges de la Cour suprême siégeant en matière de révision ne sont plus compétents pour statuer sur la recevabilité de l’action.

11. Le juge du provisoire participe aussi au fond de l’affaire. C’est un cumul de fonctions préjudiciable à son indépendance.

12. Le problème qui affecte le système judiciaire burundais est sans conteste le manque de ressources humaines qualifiées pour rendre une justice conforme au droit et en quantité suffisante pour mieux servir toutes les institutions judiciaires.

13. Le syndicat des magistrats n’est plus visible pour jouer son rôle de revendication des droits des magistrats.

14. Des avocats qui, au lieu d’aider le juge à mieux interpréter la loi et l’amener à dire le droit, s’adonnent à la corruption, jouant ainsi le commissionnaire des coups bas et non le professionnel auxiliaire de justice qu’on attendait d’eux.

15. L’indépendance de la magistrature ne concerne pas les magistrats du ministère public.

16. Au niveau du cadre légal, la séparation des pouvoirs est loin de trouver un cadre normatif cohérent, propice à son épanouissement au Burundi.

17. La survivance des pratiques qui entravent l’indépendance de la magistrature : l’ingérence de l’administration dans le fonctionnement de la justice et le phénomène de corruption.

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18. Les facteurs déstructurant l’indépendance de la justice : la structure du mécanisme prévu pour veiller à l’indépendance de la justice, la dépendance financière du pouvoir judiciaire, la mainmise du Ministère de la Justice, le manque d’infrastructures adaptées aux missions du pouvoir judiciaire, le déficit en capacités techniques des ressources humaines et les sollicitations diverses.

• Recommandations

1. La Constitution de la République du Burundi devrait être revisitée pour confier l’exercice du pouvoir judiciaire à la Cour suprême et aux autres cours et tribunaux institués par la Constitution et autres lois en termes non ambigus.

2. L’article 112, alinéa 3 de la Constitution de la République du Burundi devrait être reformulée de cette manière : « A l’exception des magistrats du siège nommés par le Président de la République sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, les nominations aux emplois supérieurs telles que précisées à l’article 192, 9° de la présente constitution ne deviennent effectives que si elles sont approuvées par le Sénat ».

3. Pour préserver son indépendance et éviter que le juge ne serve deux maîtres à la fois, l’article 12 du statut des magistrats relatif au serment des magistrats devrait être reformulé pour l’harmoniser avec celui porté par l’article 111 du COCJ.

4. Revisiter la loi régissant la Cour suprême dont certaines de ses dispositions (articles 163 et 171) entravent le principe de l’indépendance de la justice et semblent inconstitutionnels puisqu’ils confient le traitement des questions de recevabilité des demandes en justice aux autorités de l’exécutif.

5. Revisiter l’article 88 du Guide déontologique et disciplinaire du magistrat pour confier la gestion de la discipline des membres du

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corps de la magistrature et les sanctions aux contrevenants au pouvoir judiciaire.

6. Promouvoir la sécurité judiciaire et la protection des justiciables contre la partialité des juges par la mise en œuvre de la procédure de récusation et d’abstention du magistrat.

7. Renforcer l’indépendance du magistrat par l’approche « pédagogique » du juge dans ses rapports avec le justiciable.

8. Concrétiser l’indépendance du pouvoir judiciaire et garantir la bonne administration de la justice à travers le recrutement des magistrats effectué de manière transparente au moyen d’un concours suivi par une formation initiale des candidats magistrats ayant réussi aux épreuves.

9. Les juges devraient jouir de l’inamovibilité et avoir le droit de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de la retraite obligatoire, à moins que leur état de santé ne justifie un départ prématuré ou que leur conduite ne les rende inhabiles ou inaptes à exercer des fonctions judiciaires.

10. La promotion ou le commissionnement des magistrats devrait se faire en fonction d’une liste d’aptitude et d’un tableau d’avancement ordinaire ou spécial sur lesquels s’inscrit la carrière du juge et pouvant servir à l’autorité d’avancement pour faire son choix en fonction des notes du magistrat.

11. Doter la magistrature des infrastructures considérables à l’image de la Justice.

12. Mettre les magistrats à l’abri de toute tentation et de toute corruption : c’est-à-dire dans une situation confortable de bien-être et d’indépendance et dans une atmosphère de confiance et de non-ingérence.

13. Encourager les magistrats à promouvoir l’exercice du droit syndical.

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14. S’assurer que des infrastructures sont en place pour permettre aux magistrats d’assister aux séminaires de formation judiciaire tout au long de leur carrière : tous les magistrats doivent être formés avant ou au moment de leur nomination, et doivent également être régulièrement formés tout au long de leur carrière.

Quelle que soit l’expérience professionnelle des magistrats récemment nommés ou des futurs magistrats, il est nécessaire de les former à des compétences essentielles, qui ne peuvent pas toutes avoir été acquises au cours de leurs études universitaires ou de leurs expériences précédentes.

Les sociétés et leurs paysages juridiques sont en constante évolution. Pour que les magistrats restent à jour, développent et affinent leurs compétences judiciaires, et échangent des idées avec leurs pairs, une formation judiciaire régulière doit se poursuivre tout au long de leur carrière.

15. Revaloriser le statut professionnel du magistrat par des règles strictes de déontologie et de garanties de carrière permettant d’exercer sa profession en toute sécurité et intégrité ; renforcer le régime disciplinaire des magistrats tout en leur garantissant le droit à une procédure transparente et équitable devant le Conseil supérieur de la magistrature.

0. INTRODUCTION GENERALE 0.1 Contexte et justification

Historiquement, le fondement de l’indépendance de la magistrature trouve son origine dans le principe de la séparation des pouvoirs, énoncé par le philosophe anglais John Locke (1632-1704)1 et Charles Montesquieu (1689-1755) dans son ouvrage « l’Esprit des lois » paru en 1748.

L’un des postulats de l’indépendance de la magistrature est, effectivement, la séparation des pouvoirs afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice des missions souveraines. Elle suppose que chacun des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) est exercé par un organe ou une instance différente et indépendante vis-à-vis des autres.

Dans le contexte burundais, la séparation des pouvoirs est consacrée par la Constitution de la République du Burundi du 7 juin 2018 : « le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Dans l’exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu’à la constitution et à la loi »2.

En outre, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) précise, en son art.10 que « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Le pouvoir judiciaire remplit sa fonction de rempart des droits et libertés fondamentaux du citoyen si et seulement s’il est indépendant. De façon concrète, cette indépendance peut être entendue comme le fait, pour le tribunal, de ne pas être soumis à une influence extérieure, d’être exempt de toute pression émanant d’une autorité extérieure au tribunal. En ce sens, l’indépendance s’intéresse donc à l’environnement du juge. Elle implique un

1 "Second traité du Gouvernement Civil" de 1690 et plus tard par Montesquieu
(1689-1755) dans "L’esprit des lois" (1748).
2 Art. 214 alinéas 1 et 2 de la Constitution de la République du Burundi.

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statut qui assure au juge la possibilité de prendre ses décisions en toute liberté et à l’abri de toutes les instructions et pressions, en l’occurrence celles émanant du pouvoir exécutif. L’indépendance du pouvoir judiciaire est donc l’une des clés de voûte d’un véritable Etat de droit. C’est aussi l’un des principes normatifs fondamentaux de la bonne gouvernance. Ce principe sacro-saint d’indépendance de la magistrature trouve sa source dans un ensemble d’instruments juridiques internationaux et nationaux qui concourent à lui donner une forte assise.

Dans le souci de confronter ce cadre légal à la réalité ou au vécu quotidien du juge dans son cadre professionnel, l’OAG voudrait commanditer une analyse sure « l’état des lieux de l’indépendance de la magistrature au Burundi ».

0.2 Objectifs

Objectif global

• Contribuer au renforcement de l’indépendance de la justice

Objectifs spécifiques

• Mettre en exergue l’état des lieux de l’indépendance de la justice au Burundi ;

• Mettre en relief le pas franchi en matière de l’indépendance de la justice ;

• Relever, le cas échéant, les entraves à l’indépendance de l’indépendance de la justice ;

• Identifier les mécanismes pouvant être exploités en vue de renforcer l’indépendance de la justice.

0.3 Résultats attendus

• L’état des lieux de l’indépendance de la justice au Burundi est mis en exergue ;

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• Le pas franchi en matière de l’indépendance de la justice est dégagé ;

• Les entraves à l’indépendance de l’indépendance de la justice sont relevées ;

• Les mécanismes pouvant être exploités en vue de renforcer l’indépendance de la justice sont identifiés.

0.4 Méthodologie

La revue documentaire : elle consiste dans la collecte et l’analyse des

documents en rapport avec le sujet : document du projet, document de politique judiciaire, document de stratégie, études et rapports d’activités divers en rapport avec le sujet.

La revue juridique : la revue juridique est en réalité une revue documentaire portant uniquement sur les textes juridiques. Ainsi plusieurs textes juridiques comme la constitution, la loi portant statut des magistrats, la loi régissant la cour suprême, le CPC, le CPP, le COCJ, CPP, etc. ont été analysés tout au long de l’étude.

Validation du rapport provisoire : le rapport provisoire de l’étude a fait objet d’une lecture de la part du commanditaire de l’étude. Les observations, avis, commentaires et ajouts ont été pris en compte dans la rédaction du rapport final.

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CHAPITRE 1 : CADRE JURIDIQUE RELATIF A L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE

Dans le présent chapitre, nous aborderons les notions de l’indépendance même de la magistrature. Ensuite, nous ferons un aperçu sur les instruments juridiques internationaux qui traitent de la question avant de jeter un coup d’œil sur les textes nationaux en rapport avec cette thématique.

I.1. Précisions terminologiques

I.1.1 Indépendance de la magistrature en général

La notion d’indépendance judiciaire est définie de façon constante comme étant la liberté de chaque juge de décider des litiges dont il est saisi conformément à son appréciation des faits et à sa compréhension du droit, sans influence ni ingérence quels qu’en soient l’origine et le motif. Certains affirment sous une autre forme, non sans une certaine ambiguïté, que les juges ne sont soumis qu’au droit et qu’à la loi. L’indépendance judiciaire s’impose à toutes les personnes et à toutes les organisations formant la société, et il incombe aux institutions, qu’elles soient ou non gouvernementales, de la respecter, de la protéger et de la défendre. Aucun juge ne peut être tenu d’accomplir un travail incompatible avec les principes qui composent l’indépendance judiciaire ; lorsqu’il estime que son indépendance est menacée ou méconnue, le juge doit disposer d’un recours devant une instance indépendante capable de remédier à la situation.

L’indépendance judiciaire implique une certaine forme de séparation des pouvoirs entre les institutions de l’Etat : tout comme les institutions judiciaires doivent respecter l’autorité des autres institutions du gouvernement, il est du devoir de celles-ci de respecter la fonction attribuée aux institutions judiciaires et de s’assurer que ses conditions d’exercice sont conformes à cette indépendance. Les divers pouvoirs susceptibles de toucher les juges dans l’exercice de leurs fonctions, d’influer sur leur rémunération ou les moyens dont ils disposent, ne doivent pas être utilisés ni comme une menace, ni comme une pression contre eux. Tant dans les

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faits que dans la perception publique, le pouvoir judiciaire doit occuper au sein de la société une position qui lui permette de maintenir sa dignité et de remplir sa fonction3.

L’indépendance judiciaire est souvent perçue à tort comme étant dans l’intérêt des juges. Ce n’est pas le cas. Elle donne au public l’assurance qu’un juge est impartial. L’indépendance judiciaire protège les individus et la communauté. La protection offerte par l’indépendance judiciaire est imposée afin que les parties sachent qu’elles sont traitées équitablement, qu’elles obtiendront un procès impartial, et que leur cause est instruite par un juge qui est à l’abri de toute influence extérieure et qui est lié seulement par son serment professionnel, c’est-à-dire rendre la justice selon le droit.

Pour qu’elle soit efficace et conforme à son objectif, l’indépendance judiciaire doit aussi protéger les juges car « La condition essentielle de l’exercice impartial de la fonction judiciaire réside dans l’indépendance de ceux qui l’exercent »4. Les juges ont la responsabilité de protéger leur indépendance et leur impartialité. Ils le font, non pas dans leur propre intérêt, mais par devoir envers le public, qui leur a confié un pouvoir décisionnel et envers qui ils sont responsables, en définitive, de maintenir la confiance dans le système de justice.

La protection qu’offre l’indépendance judiciaire est censée aller bien au-delà de toute cause particulière ou de toute personne qui ne peut résoudre ses problèmes autrement. La protection s’étend à la communauté entière. C’est une question de confiance du public. La communauté doit avoir confiance dans son système de justice et avoir l’assurance que la magistrature est impartiale, transparente et à l’abri de toute influence abusive. Cela permet à la communauté de croire que tous les citoyens peuvent s’attendre d’être traités de la même manière, selon la primauté du droit. C’est le seul moyen d’inspirer et de maintenir le respect pour l’administration de la justice. Ce

3 Luc Huppé, « Les déclarations de principes internationales relatives à l’indépendance judiciaire », in Les cahiers de droit, vol 43, n°2, 2002, pp. 308-309

4 W. Ganshof van DERMeerrsch, « Réflexion sur l’art de juger et l’exercice de la fonction judiciaire », Mercuriale prononcée à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire de la Cour de cassation le 3 septembre 1973, in J.T, p. 510.

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sont aussi d’autres raisons pour lesquelles les juges instruisent et tranchent les causes en public.

L’indépendance judiciaire exige qu’un juge décide sans crainte ni favoritisme, même devant des opinions contraires très répandues, que ce soit celles de leurs collègues juges, du gouvernement, du public, des médias ou de groupes d’intérêts. Il est du devoir de la communauté de s’opposer avec vigueur à toute mesure ou initiative pouvant porter atteinte à l’indépendance judiciaire qui pourrait menacer au lieu de protéger l’intérêt public5.

I.1.2 Indépendance de la magistrature sous l’angle juridique et sociologique

La doctrine aborde le thème de la magistrature sous deux angles : juridique et sociojuridique. La première approche, qui est celle du droit constitutionnel et du droit administratif, aborde la magistrature en tant qu’institution exerçant le pouvoir judiciaire. Ainsi, il parle entre autres, de sa fonction de contrôle juridictionnel sur les administrés et les gouvernants. Ils soulignent que dans l’exercice de sa fonction, le magistrat est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif et son indépendance doit être prévue et garantie par la Constitution.

Dans son étude de la magistrature au sein de l’Etat, les travaux de M. Duverger6 mettent en exergue les missions du pouvoir judiciaire appartenant normalement aux tribunaux. L’institution, chargée d’assurer le respect de la hiérarchie des normes, d’interpréter le droit, de l’appliquer et de sanctionner ses violations doit être séparée des pouvoirs exécutif et législatif. L’exercice de ces fonctions exige que soit assurée l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des autres pouvoirs qui se matérialise dans le recrutement des magistrats et leur statut. Les magistrats ne doivent pas être régis par le statut des autres fonctionnaires de l’Etat qui sont placés dans la dépendance de l’exécutif.

5 Conseil canadien de la magistrature, « Pourquoi l’indépendance judiciaire est-elle
importante pour vous ? », mai, 2016, p. 7
6

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La magistrature est aussi étudiée dans la littérature, sous l’angle juridique, mais dans ses éléments internes. Nous faisons, ici, allusion aux ouvrages qui traitent du cadre juridique de la profession : conditions d’accès à la magistrature, les droits et devoirs des magistrats, la responsabilité en cas de faute commise dans l’exercice de la profession. Certains auteurs, qui mettent l’accent sur la prise en compte des spécificités de la magistrature en tant que corps de fonctionnaires d’Etat. Ces spécificités doivent être perceptibles dans le recrutement des magistrats, leurs droits et devoirs, le déroulement de la carrière et les conditions de la mise en œuvre de leur responsabilité professionnelle.

La magistrature est, enfin, traitée dans une littérature riche sous l’angle de la sociologie exemple juridique. Elle est étudiée dans l’exercice quotidien de la profession, sa capacité à répondre aux exigences d’un Etat de droit en Afrique, son degré d’adaptation aux réalités sociales africaines. Dans la présente étude, nous retiendrons uniquement l’aspect juridique.

I.2. Les instruments juridiques internationaux

Plusieurs instruments juridiques internationaux ratifiés par le Burundi parlent de l’indépendance de la magistrature. Nous relevons uniquement de quelques dispositions jugées clé relativement au sujet abordé.

1. La Déclaration universelle des droits de l’homme

Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle7.

7 Art. 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme

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2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi8.

3. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par le présente charte9.

4. Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature du 29 novembre 1985

Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restriction et sans être l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit10.

I.3. Les instruments juridiques nationaux 1. La Constitution

La Constitution de la République du Burundi du 7 juin 2018 précise que la justice est rendue par les cours et tribunaux sur tout le territoire de la République au nom du peuple burundais11. Mais tel n’a pas été toujours le

8 Art. 14 alinéa 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

9 Art. 26 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

10 Principe 2 des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature du 29 novembre 1985

11 Art. 210 de la Constitution de la République du Burundi.

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cas, l’évolution est plutôt en dents de scie12. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les différentes constitutions pour s’en rendre compte.

La première constitution du Burundi post indépendant en effet, distingue le Parlement, le Mwami et ses ministres ainsi que le pouvoir judiciaire. Elle ne fait aucune allusion à l’indépendance du pouvoir judiciaire. La deuxième constitution promulguée en 1974 sous la première République consacre aussi la séparation des trois pouvoirs tout en changeant l’ordre fait par la précédente. Désormais, le pouvoir exécutif et en première ligne.

Contrairement au précédent par contre, il proclame l’indépendance du juge, mais tout en le soumettant aux « options du parti et à la conception révolutionnaire du droit »13. L’article 19 de cette constitution va davantage limiter cette indépendance en prescrivant que le Parti UPRONA « décrit l’orientation politique générale de la nation et inspire l’action de l’Etat et contrôle l’action du Gouvernement et pouvoir judiciaire ». En somme, le constituant de 1974 soumet le juge burundais aux pesanteurs extra-légales.

Au sujet de l’indépendance de la magistrature, la constitution de 1981 semble faire des avancées. Son article 66 prescrit en effet que dans l’exercice de leurs fonctions, les juges ne sont soumis qu’à la constitution et

à la loi. L’article 67 de la même Constitution apporte une nuance importante en précisant que le Président de la République est garant de l’indépendance de la magistrature, mais qu’il est assisté dans cette tâche par le Conseil supérieur de la magistrature.

Par la suite, le principe de l’indépendance de la magistrature sera repris dans toutes les constitutions ultérieures14. L’on précise que la constitution actuelle prévoit que le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du

12 Aimé Parfait NIYONKURU, « Le droit d’accès au juge civil au Burundi, approche juridico institutionnelle », février, 2016, P.249
13 Art. 51, voir BOB/1974

14 Il s’agit des constitutions promulguées en 1992, 1996, 1998, 2001, 2004, 2005 et 2018.

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pouvoir législatif et du pouvoir exécutif15. A côté de la constitution, il existe plusieurs autres normes d’échelons différents.

2. La loi n°1/001 du 29 février 2000 portant Statut des magistrats

Il s’agit d’un texte très important puisqu’il détermine les éléments de l’indépendance de la magistrature. L’article 13 de la loi sus indiquée dispose que « le magistrat doit rendre une justice impartiale, sans aucune considération de personne, d’intérêts, d’appartenance raciale, ethnique, politique, religieuse ou sociale et que le magistrat du siège peut être déplacé pour exercer des fonctions de même grade au moins auprès d’une juridiction de même rang au moins ».

Quant à l’article 29, il consacre l’indépendance du juge du siège en précisant que : « Dans l’exercice de ses fonctions, le magistrat assis est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif et n’est soumis qu’à la loi. Il apprécie souverainement les causes dont il est saisi et décide de la suite à leur donner indépendamment de toute influence. (…) ».

3. La loi n°1/13 du 12 juin 2019 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature

L’article 2 de cette loi prévoit que « Le Conseil Supérieur de la Magistrature est la plus haute instance chargée de veiller à la bonne administration de la justice et à la discipline des magistrats du siège (...). Le Conseil est le garant du respect de l’indépendance fonctionnelle et matérielle des magistrats du siège.

Cette disposition soulève la question de savoir si l’indépendance dont il est question s’étend aussi au Ministère Public.

15 Art. 214 précité de la Constitution de la République du Burundi.

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4. La loi n°1/09 du 11 mai 2018 portant révision du Code de Procédure Pénale

L’article 259 prescrit que le juge décide d’après la loi et son intime conviction.

En somme, au terme du premier chapitre, nous retenons que la notion d’indépendance de la magistrature repose sur plusieurs éléments comme la séparation des pouvoir, l’impartialité, l’absence de pressions, menaces, injonctions, etc. mais en réalité, elle va au-delà de ça, puisque la doctrine ajoute d’autres éléments comme la formation, les conditions de travail parmi lesquelles la rémunération, etc. Dans le chapitre qui suit, nous analyserons chaque élément de l’indépendance de la magistrature, tout en le confrontant à la réalité.

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CHAPITRE 2 : ETAT DES LIEUX DE L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE AU BURUNDI

Depuis des décennies, la magistrature burundaise est accusée de manque d’indépendance et d’impartialité, dans l’exercice de ses fonctions. Plusieurs études ont été menées et ont conclu à l’absence d’indépendance de la justice burundaise16.

Dans un séminaire organisé par la Cour suprême du Burundi, le Chef de cabinet au Ministère de la Justice a fait le point en reconnaissant le manque d’indépendance du système judiciaire burundais. Selon lui, « le Conseil supérieur de la magistrature dans sa composition et dans le processus de nomination de ses membres ne reflète pas l’indépendance »17. Au cours du même séminaire, l’expert parlementaire a renchéri en épinglant parmi les

«  limites à l’exercice de la mission de l’institution judiciaire » : l’insuffisance de moyens matériels, l’insuffisance des ressources financières, l’insuffisance des ressources humaines et financières, le manque d’indépendance de la magistrature18, etc.

En août 2013, le Ministère de la Justice en collaboration avec ses multiples partenaires a organisé les Etats généraux de la Justice pour redynamiser le pouvoir judiciaire en vue de le rendre davantage indépendant et à même d’assumer sans entraves majeures les missions qui lui sont confiées. Sous

16 A. Parfait NIYONKURU, « le droit d’accès au juge civil au Burundi, approche juridico-institutionnelle », Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Droit, février 2016 ; RCN Justice & Démocratie, « Justice et séparation des pouvoirs », le Bulletin n°28, deuxième trimestre 2009 ; Etude diagnostique du système juridique et judiciaire du Burundi, avril 2009 ; Actes du Séminaire organisé par la Cour suprême du Burundi à l’Hôtel Source du Nil les 14 et 15 octobre 2009.

17 Actes du séminaire organisé par la Cour suprême du Burundi, Hôtel Source du Nil les 14 et 15 octobre 2009, p. 7

18 Honorable MBUNDE Fidèle, Président de la Commission de la Justice et des droits de la personne humaine à l’Assemblée Nationale, Communication sur « Les limites à l’exercice du la mission de l’institution judiciaire », Actes du séminaire organisé par la Cour suprême du Burundi, Hôtel Source du Nil les 14 et 15 octobre 2009, p.1.

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ce chapitre, il sera question de dresser l’état des lieux de l’indépendance de la Justice au Burundi sous ses différents aspects.

II.1. Indépendance institutionnelle

II.1.1. Séparation des pouvoirs

La théorie de la séparation des pouvoirs est entièrement consacrée notamment dans les démocraties occidentales contemporaines. Cependant, il faut admettre qu’elle souffre de limites.

• Principe

Au cœur de la notion d’indépendance de la magistrature, se trouve la théorie de la séparation des pouvoirs : le pouvoir judiciaire, qui est l’un des trois piliers fondamentaux et égaux de l’Etat démocratique moderne, devrait fonctionner indépendamment des deux autres, à savoir le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La relation entre les trois branches de l’Etat devrait être fondée sur le respect mutuel, chaque branche reconnaissant et respectant le rôle propre aux deux autres. Ce principe est nécessaire, car le pouvoir judiciaire assume des fonctions et un rôle important par rapport aux deux autres branches. S’agissant de l’exécutif, il veille à ce que le Gouvernement et l’administration soient comptables de leurs actes ; quant au pouvoir législatif, il veille à ce que les lois dûment adoptées soient appliquées et, dans une plus ou moins large mesure, à ce qu’elles soient conformes à la Constitution nationale et, le cas échéant, aux traités régionaux et internationaux qui font partie du droit interne19. Pour s’acquitter de son rôle à ces divers égards et exercer son jugement juridique indépendant en toute liberté et sans aucune entrave, le pouvoir judiciaire doit s’abstenir d’entretenir des relations inappropriées avec le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et se défendre de toute influence de leur part. L’indépendance de la justice est alors un gage d’impartialité. C’est ce que traduit cette assertion « La justice est indépendante ou elle n’est pas la justice. »

19 Art. 19 de la Constitution de la République du Burundi.

27

La séparation des pouvoirs est la première garantie de l’indépendance de la magistrature par rapport au pouvoir politique. L’article 209 de la Constitution envisage expressément l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif. Tout en précisant que l’indépendance de la magistrature est constitutionnelle et individuelle, le guide de la déontologie des magistrats précise que « sur le plan institutionnel, le magistrat doit s’abstenir de toute relation avec le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et est tenu de se soustraire à toute influence de la part desdits pouvoirs ou de ses membres »20.

Comme le Gouvernement burundais est issu de la majorité parlementaire, il convient de relever qu’on ne saurait envisager de séparation rigide et que la primauté du pouvoir exécutif est consacré pour faire face à des exigences inédites liées notamment à la complexité de la gestion internes et des relations internationales. De plus, la séparation de l’exécutif et du législatif est vidée de sa substance. En fin, l’analyse de l’exercice du pouvoir judiciaire contribue effectivement à préciser les contours de l’agression de la théorie de la séparation des pouvoirs.

• Atténuations du principe de la séparation des pouvoirs

Du point de vue juridique, les relations entre le législatif et le judiciaire est peu pondéré. D’une part, même si la constitution préconise que l’initiative des lois appartient concurremment au parlement et à l’exécutif, dans la pratique presque toutes les lois résultent de l’initiative de l’Exécutif. En outre, la nomination de certains magistrats est approuvée par le Sénat. Selon l’article 192 al.9 de la constitution, la nomination les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature ; - le Président de la Cour Suprême et les membres de la Cour Suprême ; - le Président de la Cour Constitutionnelle et les membres de la Cour Constitutionnelle ; - le Procureur Général de la République-le Procureur Général de la République et les magistrats du Parquet Général de la République ; - le président de la Cour d’Appel et le président de la Cour Administrative ; - le Procureur Général près la Cour

20 Art. 6 alinéa 2 du Décret n° 100/114 du 30 avril 2013 portant Guide déontologique et disciplinaire du magistrat.

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d’Appel ; - les présidents des Tribunaux de Grande Instance, du Tribunal de Commerce et du Tribunal du Travail ; - les procureurs de la République. Pratiquement tous les responsables des juridictions sont approuvés par le Sénat.

Les empiétements du pouvoir législatif sont rares mais existent. En 2014 par exemple, le législateur burundais avait voté en première lecture une loi autorisant la Cour spéciale des terres et autres biens de reconnaître (ou pas ?) les décisions rendues par les juridictions ordinaires et déjà coulées en force jugée. Mais le juge de la cour constitutionnelle l’a rappelé à l’ordre en jugeant que « le principe constitutionnel relatif à la sécurité juridique et social oblige le législateur à respecter les décisions déjà passées en force de chose jugée lorsqu’une validation législative est envisagée ». Elle a par la suite déclaré l’article 1521 non conforme à la Constitution.

Encore une fois, c’est la proposition de l’exécutif et la pratique révèle plutôt que le Sénat va presque toujours dans le sens de la proposition de l’exécutif22. Une large opinion estime que tout se joue au sein du parti, donc de l’exécutif.

S’agissant de l’influence de l’exécutif, certains auteurs soutiennent que la séparation des pouvoirs est fortement déséquilibrée en faveur de l’exécutif et aux dépens du pouvoir judiciaire23. Plusieurs sources pointent du doigt l’immixtion du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire. La commission d’évaluation concernant la commission d’enquête judiciaire pour le Burundi a conclu que « le pouvoir judiciaire est sujet à l’immixtion du pouvoir politique, de l’exécutif et du législatif. En dépit des dispositions constitutionnelles, qui garantissent l’indépendance de la magistrature, celle-ci est vue dans l’opinion politique comme partiale, porteuse de préjugé ethnique et cliente du

21 Selon cet art., la cour connait également des recours formés contre les décisions judiciaires déjà prise par les juridictions, en rapport avec les affaires initialement de la compétence de la cour, connues ou par celle-ci.

22 Quelques rares cas récents connus sont le rejet par le Sénat, de la candidature du

Procureur de Karusi et la nomination d’un juge à la Cour suprême.
23 Aimé Parfait Niyonkuru, op. cit., p.260

29

pouvoir exécutif24 ». D’autres études montrent d’ailleurs que cet état de fait date de très longtemps25. D’autres auteurs encore vont jusqu’à parler de l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire par les dirigeants politiques alors que les magistrats eux-mêmes, soutiennent qu’il s’agit d’une situation plutôt incompatible avec le modèle universel de procès équitable. Telle était l’opinion dominante chez les magistrats et autres professionnels de la justice lors des débats pendant les sessions des états généraux de la justice tenus en août 201326. Comme le montre le graphique qui suit, le poids du politique sur le judiciaire est également source d’autres écarts de comportements des magistrats27.

Tableau 1 : Les causes du non-respect du guide déontologique et disciplinaire du magistrat au Burundi.

L’autre souci non moins sérieux, déjà effleuré in supra est le corollaire de l’initiative des lois. Puisqu’en pratique c’est le pouvoir exécutif qui prend l’initiative des lois, c’est finalement le même pouvoir exécutif qui décide de l’organisation et du fonctionnement du pouvoir judiciaire. C’est lui qui, par exemple décide des ordres judiciaires à créer dont certains peuvent même

24 Cité par Aimé Parfait Niyonkuru, loc.cit.

25 PAGE, « Etude diagnostique du système juridique et judiciaire du Burundi », Rapport final, Bujumbura, avril 2009, p.99
26 Actes des états généraux de la justice….

27 E. MINANI, « Analyse du Guide déontologique et disciplinaire du magistrat du Burundi », Bujumbura, juillet, 2017, p. 6

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échapper au pouvoir judiciaire. La création de la Cour spéciale des terres et autres biens qui, en elle-même constitue un ordre judiciaire à part, et non soumis au contrôle de la Cour suprême28 en est une illustration parfaite.

Revenons sur certains faits. Il n’est donc pas exclu que la création d’une juridiction peut être perçue comme une option plus politique que judiciaire. C’est le cas par exemple de certains acteurs intervenants dans l’assistance judiciaire mais qui refusent d’assister les dossiers pendant devant la Cour spéciale des terres et autres biens, la taxant de politique.

Ce sentiment est malheureusement confirmé par la loi mettant en place la Commission Nationale des Terres et autres Biens qui prescrit que les décisions de cette commission sont exécutoires nonobstant le recours devant la cour29. Or, il s’agit d’une commission dépendant de la Présidence de la République, mais dont les décisions sont attaquables devant une cour tout en restant exécutoires nonobstant recours.

A ce sujet la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a considéré que la création des tribunaux spéciaux est une violation de l’article 7(1) (d) de la charte car leur composition est laissée à la discrétion du pouvoir exécutif30.

Selon le Code de l’organisation et de la compétence judiciaires, c’est la cour administrative qui est compétente pour connaitre du sort des décisions administratives31. Le Code de procédure civile va aussi dans le même sens en préconisant d’autres conditions de recevabilité par la cour administrative. En somme, puisque les missions, les champs de compétence, le fonctionnement, l’existence des juridictions sont déterminés par l’exécutif à

28 Art. 2 de loi n°1/08 du 13 mars 2019 portant Révision de la loi n°1/26 du 15 septembre 2014 portant Création, organisation, composition, fonctionnement et compétences de la Cour spéciale des terres et autres biens ainsi que la procédure suivie devant elle.

29 Art. 22 de la loi n°1/07 du 13 mars 2019 portant Révision de la loi n°1/13 du 13 décembre 2013 portant Missions, composition, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des Terres et Autres Biens.
30 Cité par Aimé Parfait Niyonkuru, op. cit., p.269

31 Art. 60 et suivants du code de l’organisation et de la Compétence judiciaires.

31

travers les lois qu’il fait voter par le Parlement. Cela signifie que le pouvoir judiciaire dépend structurellement du pouvoir exécutif ?

II.1.2. Relations administratives entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif

Comme déjà dit, l’indépendance du juge burundais est aussi envisagée vis-à-vis du pouvoir exécutif. Interprétant l’article 14.1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, relativement au sens de « tribunal compétent et impartial », le comité des droits de l’homme a considéré que

«  une situation dans laquelle les fonctions et les attributions du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif peuvent être clairement distinguées ou dans laquelle le second est à mesure de contrôler ou de diriger le premier est incompatible avec le principe d’un tribunal indépendant et impartial au sens du paragraphe premier de l’article 14 32 ».

Au Burundi, plusieurs éléments montrent que le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant vis-à-vis de l’exécutif. Cela transparaît notamment à travers le mode de recrutement, la nomination des juges et leur mode de promotion ainsi qu’une durée de mandat sans garantie.

II.1.2.1. Le recrutement des magistrats

La loi de 2000 portant statut des magistrats détermine les conditions à remplir par les candidats magistrat. Elle ajoute celles requises pour être magistrat de carrière. Dans ce dernier cas, il faut, notamment, « avoir servi en qualité de magistrat à titre provisoire pendant une période d’au moins deux ans et avoir obtenu un rapport favorable de fin stage »33.

De même, la même loi précise que, afin de départager les candidats, en collaboration avec le conseil supérieur de la magistrature, le Ministère de la justice organise des concours de recrutement. Le même Ministère en détermine les modalités, précise-t-elle. Dans les faits par contre, cette

32 Constatation dans l’affaire n°468/1991, Angel Nolo Behamonde/Guinée Equatoriale, A/49/4, p.84 § 435
33 Art. 9 points 1 et 2 du statut des magistrats.

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prescription est restée inappliquée pendant plusieurs années. Mais entre-temps, le Ministère a continué à engager directement des magistrats, sans, parait-il, avoir l’avis du Conseil supérieur de la magistrature34. Pourtant, comme l’estime Avocat sans Frontière, une gestion opaque de la nomination des juges « peut affecter l’indépendance du juge qui aura une dette de reconnaissance envers celui qui l’a fait nommer ou qui pourrait être enclin à rendre des décisions qui plaisent à celui qui détient le pouvoir de décider d’une promotion ».

Le mode de recrutement des magistrats devrait être transparent pour que seuls les magistrats, compétents, intègres, n’ayant aucune « dette morale » soient retenus pour trancher les conflits. Cela permettrait d’éviter des nominations abusives et partisanes. Même les exigences des équilibres constitutionnelles seraient sauvegardées sans difficultés.

Le Burundi pourrait capitaliser la seule expérience dans l’histoire de la magistrature burundaise où en 2014, 66 magistrats ont été recrutés sur concours, à l’issue d’une procédure que tout le monde avait saluée. Le Rapporteur spécial des Nations Unis avait souligné dans son rapport que « c’est la première fois que les magistrats seront choisis selon une procédure transparente fondée sur des critères objectifs »35.

II.1.2.2. Mode de nomination

Au Burundi, les magistrats de toutes les juridictions sont nommés par l’exécutif. Ceux des juridictions supérieures le sont pas décret alors que ceux qui sont affectés dans les tribunaux de résidence et des magistrats stagiaires sont nommés par ordonnance du Ministre ayant la Justice dans ses attributions.

Interrogé sur les critères de nomination des magistrats, un interlocuteur s’est exprimé sur ces termes « La plupart des hauts responsables de la justice sont devenus de simples militants du parti au pouvoir, les plus zélés ont plus

34 Aimé Parfait Niyonkuru, op cit. p.277

35 Rapport du Secrétaire général sur le Bureau des Nations Unies au Burundi, 31 juillet 2014, p. 7

33

de chance d’être promus à des postes de responsabilité, ce qui fait que la justice ne soit plus indépendante des autres pouvoirs qu’elle était censée devoir contrôler ».

Certes la nomination des magistrats de carrière requiert l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Mais vu sa composition36, il est facile de conclure que tout se joue à l’exécutif. Les avis se révèlent en effet comme de simples formalités, dont l’exécutif peut des fois se passer.

Le cas de la nomination des juges de la Cour constitutionnelle, de la Cour spéciale des terres et autres biens, de la cour anticorruption et de son parquet général ne requiert pas l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Selon l’article 232 de la Constitution, « La Cour Constitutionnelle est composée de sept membres. Ils sont nommés par le Président de la République après approbation par le Sénat. Ils ont un mandat de huit ans non renouvelable ». L’article 16 de la loi portant prévention et répression de la corruption et des infractions connexes précise que les magistrats de la cour et de son parquet général sont nommés par décret sur approbation du sénat. La proposition vient du Ministre de la justice. Pour ceux de la Cour spéciale des terres et autres biens, ils sont nommés par décret sur proposition du Ministre de la justice37. L’on précisera que ledit décret ne fait pas référence dans ses visas, au texte régissant le Conseil supérieur de la magistrature.

La lecture des deux dispositions pose même des soucis de conformité avec la Constitution. En effet, ces magistrats sont des magistrats de carrière au sens de l’article 3 de la loi de 2000 régissant le statut des magistrats. La loi sur la CSTB pose d’autres paramètres notamment que même des juristes peuvent être nommés juges, qu’ils soient d’abord placés en position de détachement et que la cour est établie pour une durée de sept ans.

Peut-on alors conclure à l’absence d’indépendance des magistrats nommés et révocables par l’exécutif ? La réponse est mitigée, selon les auteurs.

36 Art. 222 à 224 de la Constitution de la République du Burundi

37 Art. 5 in fine de la loi portant création et fonctionnement de la cour spéciale des Terres et autres Biens.

34

Actuellement, il faut dire que les conditions de nomination des magistrats ne sont pas de nature à garantir leur indépendance au Burundi. Les critères de recrutement demeurent d’ailleurs arbitraires dans la pratique. Alors que les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de magistrats doivent être sélectionnées sur base des critères objectifs et précis tenant notamment compte de l’intégrité, de compétence ; qu’en outre elles devraient justifier d’une formation et de qualifications juridiques suffisantes, pareille méthode de sélection des magistrats étant destinée à pallier le risque des nominations abusives et partisanes, les recrutements sont opérés de manière opaque et sous le couvert de remplacement de ceux qui ne sont plus au service pour plusieurs raisons.

II.1.2.3. Mode de promotion des juges

La loi burundaise ne définit pas de critère de promotion des magistrats, y compris les juges. Dans les faits, la pratique est telle qu’il est difficile, voire impossible, de connaitre les critères de nomination ou de promotion et les avis du Conseil supérieur de la magistrature, les approbations du sénat n’en montrent pas davantage. Alors que les principes fondamentaux de l’indépendance de la magistrature envisagent que la promotion des magistrats repose sur les compétences, l’intégrité, cette garantie n’existe ni en droit ni dans les faits.

La nomination aux postes de responsabilités tels que les chefs des juridictions ou leurs adjoints expose aussi les magistrats à plus de précarité. Ils sont sur des postes mais sont hautement éjectables à tout moment. Au Rwanda, les responsables des juridictions sont nommés pour une durée déterminée38. Cela pourrait inspirer le Burundi.

II.1.2.4. Durée du mandat des juges

Si la loi burundaise prévoit que les juges sont nommés à vie et que leur carrière prend fin à l’âge légal de la retraite39, certains juges sont nommés

38 Aimé Parfait Niyonkuru, op cit. p.293

39 Art. 21 du statut des magistrats.

35

pour une durée bien déterminée, c’est le cas de la cour constitutionnelle (8 ans), de la cour spéciale des terres et autres Biens et de la Cour suprême (pour le Président 5 ans et le vice-président 3 ans). Alors que la Cour spéciale des terres et autres biens est créée pour sept ans, ses membres sont nommés pour une durée indéterminée. Cela implique qu’à la cessation des activités de la Cour, ses membres seront discrétionnairement affectés par l’exécutif. En fait, la précarité de ces magistrats provient essentiellement de l’article 7 de la loi portant sa création qui édicte que les magistrats sont placés « dès leur entrée en position de détachement ». Autrement dit, ils interrompent leur carrière, contrairement au prescrit de la loi régissant le statut des magistrats qu’un magistrat est celui qui « exerce exclusivement ou essentiellement des fonctions judiciaires »40. Une telle position n’est pas de nature à garantir l’indépendance d’un magistrat sujet, à tout moment, d’une éjection. Le comportement prévisible est qu’il cherche à plaire à celui qui l’a nommé qu’à une hypothétique indépendance, dépourvue de garantie réelle.

II.1.2.5. Inamovibilité des juges

L’inamovibilité du juge est l’une des garanties essentielles de l’indépendance de la magistrature.

• Le Principe de l’inamovibilité des juges

Le principe d’inamovibilité protège les magistrats du siège contre toute mesure arbitraire de suspension, rétrogradation, déplacement même en avancement, révocation. L’inamovibilité est instituée pour la garantie des plaideurs, en assurant l’indépendance de la magistrature.

Pour la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, il s’agit d’un critère requis pour qu’une institution judiciaire soit indépendante. Les membres des instances juridictionnelles sont inamovibles tant qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge obligatoire de la retraite ou de la fin de leur mandant.

40 Art. 5 alinéa 1 de la loi n° 1/001 du 29 février 2000 portant statuts des magistrats.

36

• Des insuffisances normatives

La législation burundaise ne parle pas expressément de l’inamovibilité des juges. On fait ici allusion à la constitution, à la loi régissant le statut des magistrats ou encore le Code de l’organisation et de la compétence judiciaires.

Aux termes de l’article 22 du Statut des magistrats « Le magistrat du siège peut être déplacé pour exercer des fonctions de même grade au moins auprès d’une juridiction de même rang au moins ». Il ressort de la pratique que cette disposition est susceptible d’abus et l’instabilité que subissent certains magistrats a des répercussions négatives sur le rendement. Il en est de même de l’instabilité de leurs familles.

On assiste aux déplacements intempestifs des magistrats, ce qui les met simplement à la merci du pouvoir exécutif. Maître François Nyamoya décrit l’immensité de la gravité d’une telle situation comme suit : « la sanction la plus commode est la mutation, car elle n’est pas revêtue du caractère de sanction. Mais, la mutation non voulue est plus déstabilisante pour le magistrat, non seulement pour l’intimité de la vie familiale, mais pour les conséquences sur le budget familial. La perspective d’une mutation suffit donc à refroidir les velléités d’indépendance pour certains magistrats »41.

Ce pouvoir discrétionnaire d’affecter et de réaffecter est sans limite, si on s’en tient à la loi. La législation actuelle est plutôt rétrograde comparativement à la constitution du Royaume du Burundi de 1962 qui, en son article 87 prescrivait que « aucun juge ne peut être privé de sa place, ni suspendu que par jugement. Le déplacement d’un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et son accord ». Ce qui est aussi étonnant est que le déplacement d’un juge ne requiert pas l’avis du Conseil supérieur de la magistrature alors qu’il est garant de l’indépendance de la magistrature. Cela se comprend plutôt la mutation ayant été faite par l’exécutif, un avis émanant d’un corps qu’il dirige ne saurait le contredire.

41 Aimé Parfait Niyonkuru, op cit. p.289

37

Au-delà de cette insuffisance normative, la pratique révèle encore d’autres précarités qui se manifestent par des nominations en dehors des cercles judiciaires. C’est le cas des magistrats nommés au sein des administrations personnalisées de l’Etat placées sous la tutelle du Ministère ayant la justice dans ses attributions (le CEDJ, le CFPJ le SNL, la DGAP) sans leur consentement.

D’aucuns pensent que ce sont des affectations-sanctions déguisées en détachement. Les affectations et les mutations des magistrats, y compris ceux du siège, bref tout ce qui a trait à la mobilité, relève du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Celui-ci peut y recourir ou y a recouru intempestivement comme une sanction à ce qu’il considère comme une insubordination du magistrat.

S’il résulte de l’article 22 du statut des magistrats que le magistrat du siège ne peut être déplacé que pour exercer des fonctions de même grade auprès d’une juridiction de même rang au moins, des cas de juges qui ont été déplacés pour exercer des fonctions de grade inférieur sont monnaie courante.

Au demeurant, la hantise d’une sanction ou d’une mutation disciplinaire dans l’esprit du juge anéantit entièrement sa liberté de juger et son indépendance vis-à-vis de tous les justiciables. Ainsi, on est souvent dans des situations où l’exécutif se reconnaît le pouvoir de contrôler l’application de la loi par le juge, lequel est promu à des sanctions disciplinaires s’il fait de la loi une lecture différente de celle de l’exécutif en général et du ministère de la Justice en particulier.

Le principe de l’inamovibilité du juge est inconnu ou plutôt méconnu dans certains de ses aspects dans la réalité de la pratique burundaise.

II.1.3. Le rôle de la Cour suprême II.1.3.1. Place et compétence de la cour
La Cour suprême est la plus haute juridiction ordinaire de la République du Burundi. Elle incarne donc le pouvoir judiciaire dont elle fait référence pour la

38

place au sein des institutions de la République42. Déjà, de par cette disposition, elle est dépourvue d’autorité sur certaines juridictions comme la CSTB et la Cour constitutionnelle. En effet, l’article 2 de la loi n°1/08 du 13 mars 2019 portant révision de la loi n°1/26 du 15 septembre 2014 portant création, organisation, composition fonctionnement et compétence de la Cour spéciale des terres et autres biens, prescrit que la cour connaît en dernière instance les recours contre les décisions prises par la Commission Nationale des Terres et autres Biens. Quant à l’article 237 in fine précise que les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. L’article 36 de la loi régissant la Cour suprême ajoute que celle-ci n’a pas de pouvoir administratif sur la Cour spéciale des Terres et autres Biens et la Cour constitutionnelle.

Le travail de la Cour suprême doit être un travail de qualité pour servir d’exemple aux juridictions inférieures. En pratique, la Cour suprême conjointement avec le parquet général de la République a la mission de valider les propositions des jugements et arrêts devant faire objet de publication. Ce faisant les commentaires de la jurisprudence sont approuvés par une commission nommée conjointement par le Président de la Cour suprême et le Procureur Général de la République. Ils se réunissent tous les six mois pour le faire. Il s’agit d’une mission noble à la fois de création des règles de droit et d’harmonisation des décisions judiciaires. Mais il semble qu’un tel travail nécessite des fonds qui ne sont pas à la portée de la Cour suprême et du Parquet général de la République. Le rôle du Parquet général dans les commentaires de la jurisprudence nous parait inopportun du moment que seules les juridictions rendent les jugements. Même dans d’autres pays, ce travail revient à la cour suprême.

Bref, la cour suprême n’a pas de contrôle juridictionnel en termes de recours des décisions rendues par les deux cours, mais aussi n’a aucun pouvoir administratif sur elles. Ce sont des ordres judiciaires à part. Pourtant, la CSTB a nécessairement besoin de la lumière de la Cour suprême pour établir une jurisprudence, fût-elle la sienne.

42 Art. 1 de la loi n° 1/21 du 3 août 2019 portant modification de la loi n°1/07 du 25 février 2005 régissant la Cour suprême.

39

Le Président de la Cour suprême jouit actuellement des honneurs et un rang protocolaire garantis par la loi. En effet, l’article 14 de la loi régissant la Cour suprême l’énonce clairement : « En sa qualité de Représentant du Pouvoir judiciaire, le Président de la Cour suprême prend rang immédiatement après les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat, en leur qualité de chef du pouvoir législatif ». La question que l’on peut légitimement se poser est de savoir pourquoi le rang du représentant du pouvoir judiciaire n’est pas mis au même pied d’égalité que celui des représentants du pouvoir législatif. De même, la gestion de la carrière des magistrats devrait revenir à la Cour suprême à travers cette réforme mais cette dernière paraît superficielle de sorte que cette gestion reste essentiellement dans les mains de l’exécutif à travers le rôle dévolu au Conseil supérieur de la magistrature.

II.1.3.2. Des juges et de leur nomination

Comme déjà dit supra, les juges ainsi que le Président de la Cour suprême sont nommés par le Président de la République sur proposition du ministre de la justice, après avis du Conseil supérieur de la magistrature et approbation du Sénat (art.228 de la constitution et 4 et 8 de la loi régissant la cour suprême).

Les 15 magistrats qui la composent sont choisis parmi les magistrats de carrière, reconnus pour leur intégrité morale, leur impartialité et leur indépendance (art. 228 al.2 de la constitution), remplissant les critères de formation, de technicité, de compétence et de conscience professionnelle et jouissant d’une expérience professionnelle d’au moins huit ans à la magistrature (art.7 de la loi régissant la cour suprême).

Le seul critère objectif est cette expérience de huit ans, dont il est d’ailleurs difficile d’imaginer le critère d’un tel chiffre. Cela est d’autant plus étonnant que même le personnel administratif affecté au cabinet du Président de la Cour suprême, doit jouir d’une expérience de dix ans en tant que magistrat de carrière (art.10 de la loi régissant la cour suprême). Comme déjà dit le chiffre de huit pourrait avoir été taillé sur mesure d’un candidat bien choisi à l’avance.

40

Pour le reste, c’est de la discrétion de l’exécutif. Il s’agit tout de même d’un pas significatif puisque aucune expérience n’était requise avant. Ce qui fait que des magistrats, à peine titularisés pouvaient être promus à la haute cour.

Contrairement aux autres Présidents des juridictions ordinaires, le Président est nommé pour un mandat de 5 ans non renouvelable alors que son vice l’est pour un mandat de trois ans renouvelable une seule fois.

S’agissant de l’indépendance, la même loi précise qu’ils sont soumis à la constitution, à la loi et à leur conscience (art.2 de la loi régissant la Cour suprême). Vu le mode de nomination, il est possible que leur indépendance ne soit pas effective, du moins dans certains dossiers. C’est le cas des dossiers des présumés putschistes dont la gestion soulève des soupçons d’une main invisible.

Rappelons que les juges de la Cour suprême siégeant en matière de révision ne sont plus compétents pour statuer sur la recevabilité de l’action (art. 163 et 171 de la Cour suprême). Il s’agit d’une violation grave du principe même de la séparation des pouvoirs. Car, statuer sur la recevabilité est une prérogative naturelle et préalable du juge. Par ailleurs, le Ministre peut outrepasser ses pouvoirs et a besoin par conséquent d’être recadré.

C’est le cas par exemple de l’affaire RC 100/2016 rendu par le TR Ruyigi, où malgré la correspondance du Ministre de la justice43, l’exécution est devenue impossible suite au refus de l’administration à travers la police.

L’article 121 reconnaît au Ministre de la justice d’ordonner au Procureur Général de la République de « déférer à la chambre de cassation les jugements ou arrêts par lesquels les juges ont excédé leur pouvoir et entravé le cours de la justice ». Mais la même disposition ne définit pas ce qu’il faut entendre par excès de pouvoir pour un juge ou entrave la justice. Si la cour décide d’annuler la décision attaquée, l’annulation vaut à l’égard de tous. La question qu’on pourrait se poser est de savoir si toutes les

43 Correspondance n°550/2/57/CAB/2019

41

décisions sont concernées par cette disposition ou si elle se limite uniquement aux décisions qui sont susceptibles d’être attaquées en cassation. Nous faisons allusion aux jugements relatifs aux terres rurales qui ne sont pas susceptibles de cassation.

II.1.4. Lenteur judiciaire

L’un des critères d’efficacité du système judiciaire se trouve être la célérité de la procédure. Le système judiciaire souffre d’une lenteur de la procédure due notamment au nombre trop élevé des dossiers par magistrat. Cela est doublé d’une exécution improbable dans plusieurs cas.

• Lenteur de la procédure

Une étude de l’ONU FEMME sur les VBG révèle une situation inquiétante. En voici certains de ses constats : au TGI Gitega, sur un échantillon de 52 dossiers, 24 dossiers, soit 46 % ont passé une période inférieure à 1 an, 20 dossiers, soit 38%, ont passé une période allant de 1-2 ans en instance. Le reste, soit 15.3% se situent entre 2-8 ans. Au TGI Ruyigi, sur 83 dossiers clôturés, le délai est de 6 mois-5 ans. Pour les mêmes dossiers, la période se situant entre la date de transmission et la première audience varie entre 2 mois à 5 ans ; autrement dit, pour certains dossiers ce délai équivaut à plus de 90% du temps global passé au sein du tribunal. Ces éléments ont été davantage étayés au sein du TGI Kirundo où les constats sont très intéressants. Sur un échantillon de 61 dossiers pris au hasard, le délai entre la date de fixation et la première audience varie entre 30-92.5% du temps total. Par exemple sur 40 mois comptés à partir de la date de fixation jusqu’à celle de prononcé, le délai qui s’est écoulé entre la date de fixation et la première audience est de 37 mois44.

Une autre étude a révélé que la lecture des copies de jugements ne permet même pas de connaitre la durée d’une affaire. Il a été en effet constaté

44 ONUFEMMES, « Indicateurs de performances dans le traitement des dossiers relatifs aux violences basées sur le genre par les chambres et sections spéciales instituées au sein des tribunaux de Grande Instance, cours d’appel, des parquets de la République et parquet Généraux du Burundi », Bujumbura, juin 2017, P.35

42

qu’on peut seulement connaître la durée dans 18.60% des cas alors que dans 81.40%, la durée de l’affaire n’est pas possible à déterminer45.

• Lenteur de l’exécution des jugements

L’exécution des jugements est l’étape ultime de l’accès à la justice qui lui donne un sens. Le droit d’accès à la justice serait illusoire si le dispositif juridique ou institutionnel d’un Etat permettait qu’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée reste inopérante au détriment de son bénéficiaire.

L’exécution forcée est l’un des baromètres les plus significatifs pour mesurer l’efficacité de l’acte d’administration de la justice.

Une décision judiciaire, mais aussi tout autre titre exécutoire qui ne peut pas être appliqué, ne procure à celui qui a gagné le procès aucun avantage, mais plutôt, une nouvelle amertume due au fait que toute son approche judiciaire a été inutile. Très significativement, une décision non exécutée est comme un coup d’épée dans un récipient d’eau. Par conséquent, l’exécution est tout aussi importante que le jugement, parce que l’exécution volontaire des décisions judiciaires est une modalité moins utilisée pour faire valoir les droits et est parfois considérée comme un mythe.

Les causes d’inexécution de jugements sont multiples et sont notamment l’insuffisance de moyens financiers et les mauvais dispositifs qui nécessitent des jugements interprétatifs ou rectificatifs. A cela s’ajoutent les suspensions parfois intempestives des autorités du Ministère ou encore de l’administration et le comportement de procéduriers infatigables de nombreux burundais. Cela allonge indéfiniment les recours tant judiciaires qu’extrajudiciaires.

45 Association des Femmes Juristes du Burundi, « Analyse de jugements des Tribunaux de résidence en rapport avec les droits économiques des femmes », Bujumbura, janvier 2020, p.21

43

II.1.5. Cas particulier du Service National des Renseignements

De manière générale, le SNR est chargé de prévenir contre les menaces contre l’Etat et les institutions de la République, prévenir toute menace contre l’ordre constitutionnel et à la sécurité publique, détecter tous les types d’activités socio-politiques, tout acte de terrorisme, tout trafic illicite et toute tentative de constitution d’organisation criminelle. Par essence, il s’agit d’un service d’appui au système judiciaire. Mais, il dépend de la Présidence de la République du Burundi ce qui la soumet plutôt aux injonctions du pouvoir exécutif qu’au pouvoir judiciaire. D’ailleurs, il est des fois accusé de nombreuses bavures qu’il est difficile de vérifier puisqu’étant généralement inaccessible par les services d’inspection de la justice à qui il ne rend même pas compte.

II.1.6. La Cour constitutionnelle et la Cour spéciale des Terres et autres Biens : des cours en quête d’indépendance

• La Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle est au même rang que la Cour suprême et la Cour spéciale des terres et autres biens. Elle constitue, par elle-même un ordre judiciaire, au même titre que la Cour spéciale des terres et autres biens.

Les membres de la cour sont des magistrats de carrière et autres juristes.

Certains y voient déjà une volonté de la fragiliser à la solde de l’exécutif. Son passé révèle qu’elle est plus proche du pouvoir exécutif que du pouvoir judiciaire. En 2008 par exemple, elle a été saisie par le parti CNDD-FDD lui demandant d’exclure de ses rangs 22 parlementaires insurgés contre les décisions de leur parti. Et la cour a décidé que les parlementaires dissidents devraient perdre la qualité de parlementaire simplement puisqu’exclus du parti (RCCB 213). Pourtant un parlementaire élu n’a pas le mandat de son parti, mais jouit d’un mandat national.

Plus récemment encore, en 2015, même si la cour constitutionnelle a décidé que le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza était légitime, une

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certaine opinion pense le contraire. De ces faits et des autres certainement, la cour constitutionnelle est plutôt perçue comme une « cour inique46 » par une certaine opinion.

• La Cour spéciale des Terres et autres Biens

Un autre fait troublant concerne la CNTB dont les décisions peuvent être soumises à la cour spéciale des Terres et autres Biens. Celle-ci, en tant qu’ordre judiciaire dépend de la tutelle de la Présidence la République du Burundi. La loi portant la création de cette dernière avait été combattue par les parlementaires de l’UPRONA, parti de l’opposition, qui considéraient que

«  la cour spéciale des Terres et autres Biens est aussi anticonstitutionnelle que la commission nationale des Terres et autres Biens ». La cour constitutionnelle les en avait déboutés.

II.2. Indépendance décisionnelle

II.2.1. Impartialité du juge

II.2.1.1. Repères conceptuels

• Absence de définition légale

Même si le droit positif burundais évoque l’impartialité du juge dans plusieurs textes juridiques, nulle part le législateur ne définit cette notion que de nombreux auteurs qualifient de notion qui ne va pas sans difficulté, plurivoque, fuyante et polysémique, notion renvoyant à la psychologie, voire

à la morale. Dans la présente étude, on n’entrera pas dans les débats académiques portant sur cette notion, on se limitera juste à ce qui pourrait nous offrir les éléments dont on a besoin pour aborder la question en droit burundais.

46 Serges MANIRAMBONA, « le Handicap judiciaire burundais dans la poursuite et dans le jugement des personnes présumées auteurs et commanditaires des crimes internationaux », Université de Laval, 2014, p.20

45

Le vocabulaire juridique définit l’impartialité comme « absence de parti pris, de préférence, d’idée préconçue, exigence consubstantielle, à la fonction juridictionnelle dont le propre est de départager des adversaires en toute justice et équité47 », aussi bien dans le débat que dans la sentence48.

• Nature de cet instrument

Le guide déontologique et disciplinaire des magistrats est un recueil des obligations déontologiques des magistrats. Le guide est porté par un décret présidentiel et se veut être plus sévère que le Statut des magistrats qui est porté par une loi. Selon les principes de la légistique, un décret est un acte réglementaire. Il ne peut être pris que pour appliquer ou mettre en œuvre une norme qui lui est supérieure.

Selon cet instrument, l’impartialité « doit se traduire dans le chef du magistrat par l’absence de parti pris vis-à-vis des parties à la cause, l’absence des préjugés quant à l’issue du litige, l’ouverture et la disponibilité d’esprit pour assurer la contradiction des arguments qui, seuls, doivent fonder l’objectivité d’une décision judiciaire » (art. 9 al.1er).

L’impartialité du juge est aussi consacrée par les textes normatifs burundais. Ainsi, l’article 13 du statut des magistrats prévoit que « le magistrat doit rendre une justice impartiale, sans aucune considération des personnes, d’intérêt, d’appartenance raciale, ethnique, politique, religieuse ou sociale. Il ne doit faire état de connaissance personnelle qu’il peut avoir d’une affaire. Il ne peut défendre ni verbalement, ni par écrit, même à tire de consultation des causes autre que celles qui le concernent personnellement ou qui concernent directement les parents les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré ». En somme, l’impartialité se traduit par l’interdiction de cumul de fonction.

47 Cornu G (dir.) Vocabulaire juridique, 8ème éd., Paris, PUF, 2007, p.468
48 Selon Cornu, G (sous la direction de), l’impartialité dans le débat signifie que le juge doit porter une scrupuleuse attention au respect du principe de contradiction en veillant à ce que chacune des parties jouisse des mêmes chances de faire valoir ses prétentions en tenant entre elles la balance égale dans la recherche des preuves.

46

II.2.1.1.2. Interdiction de cumul de fonctions

Le COCJ en son article 113 et le statut des magistrats en son article 14 prévoit que le fait pour un magistrat du siège d’avoir « déjà donné un avis, ou d’être déjà intervenu dans l’affaire comme magistrat, officier de police judiciaire, avocat, témoin, interprète, expert ou agent de l’administration » constitue une cause de récusation.

1. Cumul des fonctions de juge du provisoire et du juge de fond

Dans la pratique burundaise, le juge du provisoire participe aussi au fond de l’affaire. Et il est rare que les parties, y compris les avocats fassent une récusation. L’une des causes est que les avocats ont peur du juge « les juges prennent les avocats comme souvent faisant cause commune avec leurs clients, les avocats évitent à leur tour d’effaroucher le juge. Alors, ils préfèrent recourir à l’informel et porter l’affaire devant le président de la juridiction qui peut changer la composition du siège. Mais, quand il s’agit du président du siège lui-même, l’affaire ne marche pas49 ».

Evidement la doctrine et la jurisprudence internationale sont nuancées sur la question. Le fait d’avoir participé à un stade de la procédure ne constitue pas ipso facto un obstacle préjudiciable. Certains y voient même un avantage pour une bonne administration de la justice50.

La question de cumul concerne aussi les fonctions du juge de mise en état et celles du juge de fond ; les fonctions du juge du référé et celles du juge de fond ; les fonctions du juge du premier degré et celles du juge d’appel ; celles du juge saisi par opposition ou la tierce opposition relativement à celles du juge ayant rendu le jugement attaqué, le cumul des fonctions du juge de pleine juridiction et celles du juge de cassation, etc. La loi burundaise n’est pas claire quant aux conséquences qu’il faudrait en tirer.

49 Aimé Parfait Niyonkuru, op. cit., p.182
50 Idem

47

II.2.1.3. Récusation

• Définition

Le droit burundais prévoit les causes de récusation, mais ne définit pas cette notion. Ainsi, faut-il recourir à la doctrine et à la jurisprudence étrangère.

Le vocabulaire juridique définit la récusation comme un acte par lequel un plaideur refuse d’être jugé par ou en présence d’un magistrat (…) dont il conteste l’impartialité (…) et aboutit, en la cause, à écarter le juge accusé soit à la suite d’un acquiescement de sa part, soit par l’effet de la décision sans délai ni débat de la contestation51.

• Les personnes admises à exercer le droit de récusation

Le CPC précise qu’il appartient aux parties (art.354) : le demandeur, le défendeur, le tiers intervenants, le prévenu, etc., mais on peut se poser la question de savoir si le mandataire ou l’avocat peut récuser un ou plusieurs juges. La réponse paraît affirmative car l’article 29 du CPC énonce que les parties peuvent se faire assister ou être représentées par un avocat ou un fondé de pouvoir. Mais dans l’affaire RPC 2279, le juge a refusé la récusation d’un des juges au motif qu’elle était demandée par un avocat et non le prévenu lui-même. Evidemment cette position est sujette à discussion puisqu’elle contredit la loi en la matière et est contraire à la pratique courante de la même cour ou encore des autres juridictions.

• Les magistrats concernés

Les magistrats de carrière, des juridictions ordinaires comme ceux des juridictions spécialisées peuvent être récusés. Même les assesseurs sont concernés. La pratique le confirme car en matière du travail par exemple, les assesseurs issus des institutions de sécurité sociale se récusent automatiquement pour les affaires impliquant les intérêts de leurs services respectifs. C’est le cas de l’affaire RS 14187 N.F contre l’INSS, un

51 Cornu G. Vocabulaire juridique, 9ème éd., PUF, 2011, p.859, V° « récusation ».

48

assesseur venu de l’INSS s’est automatiquement récusé. Même l’arbitre peut l’être (art.354 CPC). Il en est de même de l’expert judiciaire « Les règles relatives à la récusation sont applicables à l’expert judiciaire » (art.150 CPP). Le principe est transposable en matière civile.

• Les causes de récusation

L’article 113 COCJ prévoit que : Tout magistrat du siège peut être récusé

pour l’une des causes ci-après : a) si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel dans l’affaire ; b) s’il est parent ou allié, jusqu’au quatrième degré inclus, d’un des membres du siège, de l’une des parties, de son conseil ou de son mandataire ; c) s’il y a amitié ou inimitié prononcée entre lui et l’une des parties ; d) s’il a déjà donné un avis dans l’affaire ; e) si l’une des parties est attachée à son service ; f) s’il est déjà intervenu dans l’affaire comme magistrat, officier de police judiciaire, avocat, témoin, interprète, expert ou agent de l’administration ; g) si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties ;h) s’il y a eu ou s’il y a procès entre lui ou son conjoint et l’une des parties ou le conjoint de celle-ci ; i) si le juge ou son conjoint est chargé d’administrer les biens de l’une des parties.

II.2.2 Les ressources humaines

Le grand problème qui affecte le système judiciaire burundais est sans conteste l’insuffisance de ressources humaines.

• Au plan qualitatif

Sur le plan qualitatif, les politiques sectorielles relatent un niveau de qualification très faible de la grande majorité des juges des tribunaux de résidence affectés dans les 134 tribunaux répartis à travers les 20 tribunaux de grande instance. La plupart ont à peine complété le niveau des humanités techniques. Certes, la différence dans le niveau de qualification varie d’un tribunal de résidence à l’autre à l’intérieur d’une même juridiction et d’une juridiction à l’autre. Lors de l’organisation du concours de sélection

49

des magistrats de résidence ayant le niveau baccalauréat en 2019, le Centre de Formation Professionnelle de la Justice a recensé 173 candidats52.

Cependant, au niveau des Tribunaux de grande instance, des Cours d’Appel et de la Cour suprême, le problème de qualification des juges ne se pose pas avec autant d’acuité que ceux décrits précédemment. Ces juges détiennent pour la plupart une licence en droit ou une expérience pratique équivalente. Le problème se situe plutôt au niveau de l’actualisation des connaissances acquises dans une discipline qui évolue au rythme des relations sociales, elles-mêmes en constante mutation.

Le problème de la qualification des juges résulte, en partie, de leurs modes de sélection et de recrutement qui, souvent, laissent beaucoup à désirer. Par exemple, les juges des tribunaux de résidence en activité sont nommés par le Ministère de la Justice. Quant aux magistrats des juridictions supérieures, ils sont nommés par le Ministère de la Justice à titre provisoire pour être confirmés définitivement par décret présidentiel sur avis du Conseil supérieur de la magistrature53. En général, ce sont des recrutements directs qui sont effectués en violation flagrante des dispositions du statut des magistrats et du décret portant création du Centre de Formation Professionnelle de la Justice.

• Au plan quantitatif

Sur le plan quantitatif, le manque de Juges en nombre suffisant pour animer les institutions du système judiciaire burundais est relatif. En effet, le Burundi compte environ 2000 magistrats des tribunaux de base et des juridictions supérieures54. Certaines communes administratives ont plus de deux tribunaux de résidence, ce qui contribue à faciliter l’accès à la justice. Il ne suffirait qu’une affectation rationnelle des ressources pour servir toutes les institutions judiciaires.

52 Rapport CFPJ 2019

53 Art. 219 de la Constitution de la République du Burundi.

54 Ministère de la Justice, Direction Générale de l’Organisation Judiciaire, « Liste du personnel judiciaire, 2020.

50

Au Burundi, la formation des magistrats est confiée à une administration personnalisé dénommée Centre de Formation Professionnelle de la Justice. Il n’assure pas régulièrement, tel que le prévoie son décret de création, la formation initiale des magistrats candidats en vue de leur recrutement et affectation. Il met toutefois en œuvre des formations continues pour contribuer à la formation professionnelle des magistrats en fonction.

II.2.3 Imputabilité

L’indépendance judiciaire ne donne pas aux juges le droit de faire ce qu’ils veulent. L’imputabilité judiciaire garantit plutôt que la justice est rendue en conformité avec le droit. Les mesures d’imputabilité des juges sont essentielles pour protéger l’application adéquate de la primauté du droit. Il existe de nombreuses mesures pour assurer l’imputabilité des juges, notamment :

• L’exigence absolue selon laquelle les causes doivent être instruites en audience publique, selon le droit et la preuve ;

• Le devoir de fournir des motifs suffisants pour justifier leurs décisions et de rendre ces motifs publics ;
• L’obligation de statuer sur des causes selon la preuve et le droit ;

• La responsabilité envers l’intérêt public de rendre des décisions de manière indépendante et selon les principes de droit établis et reconnus ; et

• La possibilité que leurs décisions soient portées en appel devant une juridiction supérieure.

Les juges sont indépendants, mais ils demeurent imputables de leurs actions :

• Les audiences des cours sont tenues en public ;

• Les journalistes et les citoyens peuvent juger par eux-mêmes si justice a été rendue ou non. Ils sont libres de débattre et de critiquer la décision d’un juge ;

• Les audiences à huis clos sont rares et ont lieu seulement pour protéger la vie privée d’une personne ou d’autres intérêts sociaux

51

importants, comme le bien-être des enfants.

S’agissant de la conduite proprement dite, elle correspond aux devoirs déontologiques tels que définis par l’article 14 du statut des magistrats. Le magistrat est donc tenu :

• de servir la cause de la justice avec fidélité, dévouement et intégrité ;

• de veiller à la sauvegarde des institutions de la République du Burundi en général ;

• d’exécuter personnellement et consciencieusement leurs obligations professionnelles et de s’entraider dans la mesure où l’exige l’intérêt général et du service ;

• de faire preuve de dignité et de la plus grande politesse, tant dans leurs rapports avec les supérieurs, collègues et inférieurs, que dans les relations avec le public ;

• d’éviter dans leur vie publique et privée tout ce qui pourrait ébranler la confiance des justiciables, faire respecter leur impartialité ou compromettre l’honneur ou la réputation de la magistrature.

Pour toutes ces raisons, les juges sont imputables et tenus responsables de leurs fonctions décisionnelles, en fait et en apparence.

L’imputabilité des juges offre des « freins et contrepoids » pour donner l’assurance que la confiance du public dans la magistrature est méritée et que le respect pour l’administration de la justice est bien fondé. Elle garantit que les juges n’abusent pas de leur pouvoir, que ce soit sur le plan individuel ou institutionnel. L’imputabilité des juges affermit la confiance du public dans l’indépendance et l’impartialité de la magistrature en général. Ainsi, l’imputabilité des juges est une mesure de protection qui préserve l’indépendance judiciaire et assure l’impartialité judiciaire.

II.3 Le rôle des syndicats : pas assez visible

Depuis sa création en 1994, le SYMABU a toujours manifesté la volonté de rencontrer l’Employeur pour lui faire part des doléances des magistrats et pour que les points du syndicat soient pris en considération dans les

52

grandes décisions de l’Employeur. C’est un rôle que le syndicat des magistrats a joué malgré les constantes incompréhensions avec le ministère de tutelle55. La loi portant statut des magistrats énonce que les six membres du Conseil supérieur de la magistrature sont élus par leurs pairs magistrats et que la procédure et le mode d’élection de ces derniers sont déterminés par le syndicat des magistrats.

Il est affirmé que le syndicat SYMABU a joué un rôle important surtout en ce qui concerne la revendication des droits des magistrats. Actuellement, le syndicat n’est plus visible sur terrain à la suite des tourments de la part de l’exécutif et de la création des ailes à l’instar des partis politiques56.

II.4 Le rôle de l’avocat dans l’indépendance de la justice : rôle insuffisant

L’avocat est un auxiliaire important de la justice, en tant que partie éclairée, chargé aussi de la promotion du droit, il aide le juge dans l’interprétation et l’application de la loi. D’abord l’assistance judiciaire d’un avocat est très faible au Burundi. En effet, dans l’étude précité sur l’analyse des jugements rendus par les tribunaux de résidence, le constat est amer car sur 129 dossiers analysés « seuls 6.21% sont des femmes assistées d’un avocat contre 97.79% qui doivent se débrouiller seules. Les hommes sont touchés dans les mêmes proportions57. Une autre étude a abouti à des résultats presque similaires. En voici ses conclusions :

Au TGI Gitega, sur 85 dossiers, seuls 13, soit 15.2% étaient assistés d’un avocat ; Au TGI Ruyigi, pour les dossiers en cours seuls 21.7% ; au TGI Kirundo, sur les 137 dossiers analysés, 2.18% étaient assistés ; au Parquet de la République de Kirundo, sur 82 dossiers aucun n’était assisté d’un avocat (0%) ; au TGI Cibitoke, sur 81 clôturés, 10 sont assistés d’un avocat (12.3%). En somme, sur les 15 dossiers prétendument assistés, aucune victime n’a eu des DI. Au TGI Ngozi sur 34 dossiers seuls 8 (23.5%). En

55 Communiqué de presse du SYMABU du 4 septembre 2001.

56 ISANGANIRO, 12/06/2014, « Le SYMABU persécuté par le ministère de tutelle » ; RPA, 5 septembre 2014, « Le syndicat des magistrats en proie à la

NYAKURISATION ».
57 Association des Femmes Juristes du Burundi, op. cit. p.17

53

somme seuls 8.8% sont effectivement assistés. Au TGI Kirundo, sur les 28 dossiers à prévenus détenus, un seul, soit 3.5% était assisté d’un avocat. Au TGI Ruyigi, sur 23 dossiers en cours, seuls 5, soit 23.7% sont assistés d’un avocat. Au parquet Général près la Cour d’Appel de Ngozi, le taux d’assistance s’élève 27.3% grâce surtout aux avocats des ONG Terre des Hommes et ASF. Au parquet Ngozi, sur les 56, aucun dossier n’est assisté ; au parquet Cibitoke, le taux d’assistance est 4%. Au TGI Muyinga, seulement 9% étaient assistés en 2015, mais aucun dossier ne comportait des conclusions de l’avocat en 2016.58

Mais certains avocats, connaissent mieux le juge que le droit. Cela signifie qu’au lieu d’aider le juge à mieux interpréter la loi et l’amener à dire le droit, ils s’adonnent à la corruption, jouant ainsi le commissionnaire des coups bas et non le professionnel auxiliaire de justice qu’on attendait de lui.

II.5 La place du Ministère public : question non clairement tranchée

La confusion vient du fait que le mot magistrat est générique et désigne le magistrat du siège et du parquet. Mais plusieurs dispositions montrent que les magistrats du parquet ne sont pas concernés par l’indépendance de la magistrature. L’article 128 COCJ énonce que « Le Ministère Public est un, indivisible et hiérarchisé. Les Officiers du Ministère Public sont placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques ». Or, qui dit hiérarchie, dit subordination aux ordres d’un chef supérieur. L’article 130 de cette même loi lève toutes les équivoques en précisant que « le Ministère Public est placé sous l’autorité du Ministre de la Justice qui peut enjoindre d’instruire et de poursuivre au Procureur Général de la République, aux Procureurs Généraux près les Cours d’Appel et aux Procureurs (…) ». Tel est aussi l’esprit de l’article 94 du Code de procédure pénale. Autrement dit, dans tout ce travail, l’indépendance de la magistrature concerne seulement les magistrats assis.

58 ONUFEMMES, op.cit., p.44-45

54

II.6 Des pratiques entravant l’indépendance de la magistrature

III.6.1 L’ingérence de l’administration dans le fonctionnement de la justice

• La règle

La principale fonction des juges, qu’ils ont fait le serment de remplir, est d’interpréter et d’appliquer le droit au règlement des instances introduites par les plaideurs ou par l’Etat. Les juges sont liés par la loi. Ils font de leur mieux pour actualiser leurs connaissances du droit et se tenir au fait des enjeux sociaux.

Tous les juges doivent être libres de décider en conformité avec leur serment professionnel59, à l’abri de toute contrainte ou influence60, que ce soit de la part du gouvernement, de la fonction publique, de l’opinion publique, de groupes de pression ou d’autres juges, sauf, évidemment, dans la mesure où les opinions d’autres juges ont été consignées dans leurs décisions et peuvent servir de précédent.

La confiance en la magistrature est entamée lorsque la prise de décision du pouvoir judiciaire paraît soumise à des influences extérieures inopportunes.

• Les influences

Pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et préserver la confiance que le public manifeste envers le système de justice, il est essentiel que le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ne donnent pas l’impression que les décisions du juge puissent être faussées par ces influences. La diversité des influences auxquelles un juge pourrait être

59 Art. 111 du code de l’organisation et de la compétence judiciaires : « Je jure de respecter la Constitution et les lois de la République, de me comporter avec probité, dignité, loyauté et d’être respectueux des droits de toutes les parties et du secret professionnel ».

60 Art. 259 de la loi n°1/09 du 11 mai 2018 portant modification du Code de procédure pénale : « le juge décide d’après la loi et son intime conviction ».

55

soumis est infinie. Le devoir du juge consiste à appliquer la loi telle qu’il la comprend, sur la base de son appréciation des faits sans crainte ni faveur et sans chercher à savoir si la décision finale risque ou non de recueillir la faveur du public.

Il arrive qu’une affaire suscite une controverse publique largement médiatisée et que le juge se retrouve dans ce que l’on pourrait appeler l’œil du cyclone. Parfois, le poids de la médiatisation peut tendre dans une large mesure vers un résultat souhaité. Toutefois, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, le juge doit être protégé des effets de cette médiatisation. Il doit faire abstraction du fait que les lois à appliquer ou les plaideurs comparaissant devant le tribunal bénéficient ou non de la faveur du public, des médias, des responsables publics ou même de ses propres amis ou des membres de sa famille. Un juge ne doit pas être influencé par des intérêts partisans, les protestations du public ou la peur des critiques. L’indépendance judiciaire recouvre l’indépendance vis-à-vis de toutes les formes d’influences extérieures.

Il est contraire au principe de l’indépendance de la magistrature qu’un juge accepte, durant un congé, un emploi à plein temps à un niveau élevé de décision au sein du pouvoir exécutif ou législatif (par exemple, en qualité de conseiller spécial pour des questions concernant la réforme de l’administration de la justice). L’aller-retour entre des postes haut placés au sein de l’exécutif ou du législatif et la fonction judiciaire favorise le type même de confusion des fonctions que la séparation des pouvoirs vise à prévenir. Cette confusion risque d’affecter la façon dont le juge et les agents avec lesquels il exerce conçoivent l’indépendance du magistrat. Même lorsqu’il n’en est pas ainsi, cette pratique influe défavorablement sur l’idée que le public se fait de l’indépendance des tribunaux vis-à-vis de l’exécutif et du législatif.

Lorsque le conjoint du juge est une personnalité politique active, le juge devrait être suffisamment détaché de la conduite des membres de sa famille pour que le public n’ait pas l’impression qu’il soutient le candidat d’un parti politique.

56

Un Ministre de la justice qui accorde une distinction, ou recommande l’octroi d’une distinction, à un juge au titre de son activité judiciaire viole le principe de l’indépendance de la magistrature. Lorsque l’exécutif rend hommage de son propre chef à un juge pour des états de service, sans que le pouvoir judiciaire prenne une part importante à cet hommage, alors que ce juge est encore en exercice, il est porté atteinte à l’indépendance judiciaire.

Le versement par l’exécutif d’une “prime” (autrement dit, une incitation financière particulière) à un juge au titre de l’administration de la justice est incompatible avec le principe de l’indépendance judiciaire.

Lorsque, dans une procédure judiciaire, se pose la question de l’interprétation d’un traité international et que le tribunal déclare que l’interprétation n’entre pas dans le cadre de ses fonctions judiciaires et qu’il demande l’avis du Ministre ayant les affaires étrangères dans ses attributions à cet égard, pour prononcer ensuite un jugement conforme à l’avis de celui-ci, le tribunal a en fait recouru à un représentant de l’exécutif pour résoudre le problème juridique dont il était saisi. Le fait que le Ministre ait participé au dénouement de la procédure judiciaire d’une manière décisive et non susceptible d’être contestée par les parties signifie que l’affaire n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et de pleine juridiction.

III.6.2 Le phénomène de corruption

Le manque d’indépendance de la magistrature peut être aussi lié à la corruption qui est une véritable gangrène des services judiciaires. Elle prend de plus de plus d’ampleur, elle tend à se généraliser et s’étendre même à, l’ensemble des acteurs de la justice y compris certains membres du barreau, a martelé un parlementaire dans un séminaire organisé par la Cour suprême.

La corruption constitue une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. C’est un fléau qui affecte l’Etat de droit par l’affaiblissement, plus ou moins direct, de la séparation des pouvoirs : « l’antinomie [entre corruption et démocratie] se prolonge au plan juridique, car le droit suppose

57

un ordre qui est fondé sur des distinctions, comme la distinction public/privé, et sur des séparations comme la séparation des pouvoirs exécutifs législatif et judiciaire. Or, la corruption affaiblit les distinctions et mélange les pouvoirs »61.

Concrètement, lorsque l’on est confronté aux problèmes engendrés par la corruption et à ses répercussions sur le système judiciaire, la corruption a un caractère transversal qui ne saurait être ignoré. Ce caractère transversal peut nuire à l’indépendance des institutions et ainsi entraîner l’impunité des corrupteurs. Une situation aussi critique, en même temps, a largement ouvert la voie aux interventions de juges et de procureurs indépendants et impartiaux.

La corruption, en plus de son incidence directe sur le bon fonctionnement de l’État et le respect des droits de la personne, a de graves conséquences pour les organes chargés de garantir l’Etat de droit, car la corruption affaiblit les structures même de responsabilisation devant protéger les droits de l’homme et contribue à une culture d’impunité, puisque les activités illégales ne sont pas sanctionnées et que les lois ne sont pas appliquées de manière uniforme.

Les juges, procureurs et membres du personnel auxiliaire honnêtes et indépendants peuvent faire face, dans un tel contexte, à des situations très délicates surtout lorsque les Etats n’ont pas pris des mesures de sécurité requises pour protéger le pouvoir judiciaire de toute incitation, pression, menace, ingérence ou influence extérieure. Ces mesures sont encore plus nécessaires parce que la corruption judiciaire constitue, à la fois, une menace pour l’indépendance judiciaire et un objet d’enquête.

Le 10 mars 2006, le Burundi a ratifié la convention des Nations Unies sur la corruption qui demande aux Etats de prendre des mesures visant à prévenir et combattre la corruption de manière efficace. De même, le 1er décembre

61 Hadrien Zanin, « La lutte contre la corruption au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice au moyen du droit pénal », Thèse de Doctorat, UNIVERSITE PARIS-SACLAY, Sciences de l’homme et de la société (SHS), 2016, P. 19

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2006, le Burundi s’est engagé, lors de l’adoption du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Conférence sur la région des grands lacs, à lutter contre la corruption en renforçant et/ou en créant des institutions anti-corruption indépendantes et dotées de suffisamment de ressources et à adopter des politiques et des lois efficaces pour combattre la corruption au niveau régional et national. Dans son discours d’investiture du 26 août 2010, le Président de la République a mis l’accent sur les défis de la corruption en affirmant la volonté du gouvernement de combattre la corruption à travers une politique de tolérance zéro face au phénomène.

Pour s’attaquer au problème de la corruption, les mécanismes de prévention mis en œuvre ont été concrétisés par la création et l’organisation du Ministère à Présidence chargé de la Bonne gouvernance, la mise en place de la Cour des comptes, de la Brigade Spéciale de lutte contre la corruption, de la Cour spéciale anticorruption et son parquet général. Dans cette lancée et pour limiter les répercussions de la corruption, le Gouvernement a adopté la stratégie de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption 2011-2015, un plan stratégique de lutte contre la corruption dans les services judiciaires 2015-2019 a été élaboré et des sections spécialisées créées dans tous les services judiciaires.

Malgré tous ces mécanismes, le phénomène de corruption se fait encore entendre au quotidien dans les discours politiques et même dans le judiciaire.

II.7 Les facteurs destructurant l’indépendance de la justice

II.7.1. Un conseil supérieur de la magistrature dominé par l’exécutif

Dans l’ensemble, la législation burundaise consacre une séparation des pouvoirs fortement déséquilibrée en faveur de l’exécutif et au dépend du judiciaire. Les garanties légales d’indépendance des juges sont insuffisantes. Ainsi, c’est l’exécutif qui gère, de bout en bout, la carrière des juges depuis le recrutement jusqu’à la fin de la carrière, en passant par la nomination à titre définitif, la notation, l’avancement, la promotion à des postes de responsabilité, l’action disciplinaire, etc. Au-delà de la carrière,

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plusieurs brèches normatives permettent à l’exécutif d’intervenir dans l’administration de la justice ou d’influencer sur le cours de cette dernière à travers des pressions et d’instructions à l’endroit des autorités juridictionnelles.

Jusqu’à ce jour, le Conseil supérieur de la Magistrature est présidé par le Chef de l’Etat qui est en même temps le chef de l’exécutif. De même, l’accès aux hautes fonctions à la magistrature est régulé par le même conseil sur proposition des membres de l’Exécutif, en l’occurrence le ministre ayant la Justice dans ses attributions.

A propos de l’indépendance de la justice, Aimé Parfait NIYONKURU note que « le mécanisme prévu pour veiller à l’indépendance du judiciaire a une structure plutôt insolite »62. Il renchérit en affirmant qu’on peine à savoir, entre le Président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature, l’organe qui est investi de la mission de veiller à l’indépendance des juges. D’un côté, il résulte de l’article 209 alinéa 3 de la Constitution que le Conseil supérieur de la magistrature est chargé d’assister le Président de la République dans sa mission de garantir l’indépendance de la magistrature. D’un autre côté, plus qu’un rôle d’assistance, l’article 210 de la Constitution assigne au Conseil supérieur de la magistrature la mission de « veiller à la bonne administration de la justice » et de « garantir l’indépendance des magistrats du siège dans l’exercice de leurs fonctions ». La lecture combinée de ces deux articles de la Constitution soulève la question de savoir à qui revient, en ordre principal, la mission de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire au Burundi ? Au Président de la République, avec l’assistance du Conseil supérieur de la magistrature, ou à ce dernier dont il est membre et que préside le premier ?

En supposant que c’est au Président de la République, l’on pourrait s’interroger, à la suite de Lyon-Caen « comment celui qui dirige l’exécutif pourrait protéger le judiciaire des empiétements que le premier a tendance, par la nature des choses, à exercer sur le second »63. En prenant

62 A.P. NIYONKURU, in Revue Burundaise de Droit et Société, p. 137

63 Lyon-Caen, cité par A.P. NIYONKURU, in Revue Burundaise de Droit et Société, p. 138

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l’hypothèse que c’est au Conseil supérieur de la magistrature, là non plus, eu égard à sa composition dominée par l’exécutif, il lui serait difficile voire impossible, de remplir efficacement son rôle. Dans sa structure actuelle, le Conseil supérieur de la magistrature, au regard de sa mission, apparaît plutôt comme, un joueur déguisé en arbitre.

II.7.2. La dépendance financière du pouvoir judiciaire

La dépendance financière du pouvoir judiciaire a deux dimensions à la fois individuelle et collective qui concernent la sécurité financière des juges d’une part, et la gestion financière des tribunaux d’autre part.

II.7.2.1. Aspect individuel

Toute mesure législative ou exécutive ayant des incidences sur les aspects de la rémunération des juges risque d’affecter le principe de la sécurité financière dans sa dimension institutionnelle. Ainsi, pour assurer la sécurité financière des juges, le droit des juges à un salaire et à des prestations de retraite ou autres avantages sociaux devraient être assuré et mis à l’abri des ingérences arbitraires de l’exécutif. Ces ingérences sont susceptibles de compromettre non seulement l’indépendance du juge individuellement, mais également l’apparence d’indépendance de l’institution à laquelle il appartient.

Au titre des crédits de la loi des finances 2020-2021, le Ministère ayant la justice dans ses attributions a reçu un montant global de 22 336 365 281 FBU pour les services centraux, le Conseil supérieur de la magistrature et des parquets, les administrations personnalisées placées sous s tutelle et toutes les institutions judiciaires. En réalité, c’est le ministre de la Justice qui est responsable du financement du pouvoir judiciaire. Cette prérogative lui donne ainsi un contrôle absolu sur les salaires, indemnités et autres primes, ce qui porte atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

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II.7.2.2. Aspect collectif ou institutionnel

De plus, l’indépendance des juridictions suppose que ceux-ci aient la maîtrise de tous les éléments de leur administration qui ont une influence directe sur l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles. Ainsi, l’assignation des juges à une cause, les séances du tribunal, la fixation du rôle ainsi que la durée du procès devraient échapper au contrôle du pouvoir exécutif.

Les tribunaux devraient disposer d’un budget suffisant pour pouvoir exercer adéquatement leurs fonctions.

L’état actuel de la gestion financière des juridictions montre que le ministre de la Justice est l’ordonnateur, et le budget alloué aux juridictions exécuté par les services du budget qui se trouvent au sein des services centraux du Ministère de la Justice.

Au Burundi, on constate que le pouvoir judiciaire est largement dépendant des choix effectués par le pouvoir exécutif particulièrement dans le cadre de ses projets de loi de finances, ce qui limite par conséquent l’indépendance du pouvoir judiciaire.

En effet, la dépendance financière du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique en général et celui de l’exécutif en particulier limite encore davantage l’indépendance institutionnelle des cours et tribunaux. A titre de comparaison, les pays limitrophes du Burundi membres de l’EAC ont déjà consacré l’autonomie financière des cours et tribunaux. Nous sommes conscients que l’indépendance financière des cours et tribunaux n’est pas foncièrement synonyme d’indépendance effective des institutions judiciaires et des juges, mais il est vrai que l’autonomie financière du pouvoir judiciaire participe à l’indépendance des juges.

L’article 33 de la nouvelle loi régissant la Cour suprême précise clairement que la Cour suprême et son parquet général bénéficient des budgets propres. Une telle disposition est loin de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire burundais car les budgets de fonctionnement d’autres entités

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œuvrant dans le domaine de la justice sont gérés par l’Exécutif en particulier le ministère en charge de la justice.

Le budget de la magistrature devrait être géré par la Cour suprême entièrement. En effet, le budget du Ministère de la Justice doit être séparé du budget de fonctionnement des cours et tribunaux, lequel serait géré par la Cour suprême. Par ailleurs, la dépendance persistante des tribunaux de résidence qui doivent toujours attendre d’une autre main l’approvisionnement d’outils substantiels alors qu’ils génèrent des recettes consistantes est à repenser.

II.7.3. La mainmise du Ministère de la Justice sur l’institution judiciaire

La justice, en réprimant les atteintes aux lois, assume par son organisation des fonctions sociales multiples et tient du même coup dans l’Etat une place éminente où les lois garantissent et protègent les libertés publiques. Mais les pouvoirs publics, dans la tradition constitutionnelle demeurent associés à l’œuvre judiciaire et la constitution de 2018 maintient cette tradition.

Cependant la mainmise de l’Exécutif comme plus d’un sont enclins à le croire, garantit de moins en moins l’indépendance de la Magistrature.

A la fois autorité politique et chef d’un organe administratif, le ministre de la Justice est la courroie de transmission du gouvernement dans l’institution et le chef du service public de la justice. A ce titre, il nomme les magistrats du siège et du parquet et veille à leur promotion. Il est investi également d’un pouvoir réglementaire lui permettant d’assainir le fonctionnement de l’institution en se basant sur le principe hiérarchique. Dans les périodes de trouble il se considère comme le véritable chef de la justice64.

De ce fait, ne peut-on dégager la mainmise possible du Ministère de la justice sur l’institution judiciaire ?

64 En 2015, des commissions ont été mises en place par le Ministre de la Justice pour suivre les procédures judiciaires impliquant les fauteurs de troubles.

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Le Ministère de la justice est une survivance de l’histoire. A la vérité, la justice peut être rendue équitablement dans un pays malgré l’existence d’un Ministère de la Justice. L’essentiel est de confier à celui-ci des attributions qui ne seront pas de nature à troubler l’administration d’une bonne justice.

La justice est trop souvent, partante de l’affirmation, soumise au pouvoir politique. Comment parler d’une indépendance de la Magistrature quand le pouvoir de recrutement, de sélection et de nomination est confié à une autre partie ? L’Exécutif choisira rarement un magistrat de siège ne partageant pas ses idéologies politiques ou qui ne lui soit pas facile de manipuler sans parler de soumission.

L’avancement des juges devrait rester et demeurer toujours une affaire de choix et non d’ancienneté.

II.7.4. Une institution sous manque d’infrastructures suffisantes II.7.4.1. Infrastructures en quantité et qualité insuffisantes

L’environnement dans lequel travaillent les agents du palais de justice après des années de mise en œuvre des cadres programmatiques de développement65 n’offre pas de conditions de travail propices à la distribution d’une justice de qualité aux justiciables.

Les facteurs d’inconfort tiennent, d’une part, à l’insuffisance de bureaux et de moyens de travail dont disposent les magistrats, mais aussi, d’autre part, aux sollicitations des autres acteurs institutionnels et sociaux.

A ce premier facteur qui contribue à fragiliser l’indépendance des magistrats, il faut ajouter que les juridictions manquent de moyens pour correctement fonctionner.

En termes d’infrastructures, le palais de justice comporte peu de bureaux pour abriter l’ensemble de ses personnels magistrats et d’appui. Il faut

65 Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté I et II

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rappeler que certains palais ont été conçus pour abriter le personnel d’une justice de l’époque coloniale.

Le nouveau bâtiment de la Cour suprême connaît actuellement un problème d’équipement mobilier et l’immeuble du tribunal de Commerce ainsi que du Travail non encore réhabilité menace d’écroulement. La création de nouvelles juridictions dans le cadre de la politique de décentralisation et de désengorgement des services judiciaires, en 201866, a, rapidement, entraîné l’incapacité de l’Etat à offrir des bureaux aux personnels. Le recours aux locations et aux transformations des bureaux administratifs impacte négativement l’indépendance de la justice car même les salles d’audience publique très exiguës ne sont pas adaptées et équipées en mobiliers67.

II.7.4.2. Conséquences

Une des conséquences de ce problème crucial d’infrastructure, c’est la désorientation du justiciable dans l’accès à la justice lors de l’éclatement d’une juridiction en plusieurs, de la fusion des juridictions en une région ou de la création de nouvelles juridictions qui se distribuent les dossiers en fonction de la compétence territoriale.

Une autre conséquence de l’affectation d’une partie des locaux d’un immeuble privé ou public à la justice, c’est l’ouverture des opportunités, en termes de sollicitations, aux agents utilisant le même bâtiment. A titre d’exemple, la Cour spéciale des terres et autres biens est logée dans un hôtel. C’est un endroit éminemment achalandé où se rencontrent de personnes de plusieurs horizons. Les juges peuvent donc recevoir des sollicitations des visiteurs pour toutes sortes de problèmes, y compris judiciaires, auxquels ceux-ci peuvent être confrontés et tenteraient d’y trouver les solutions.

66 Les Cours d’appel de Makamba, de Ntahangwa et de Muha et leurs parquets généraux, les tribunaux de grande instance de Muha et de Ntahangwa et leurs parquets.

67 Cas des salles d’audience publique du TGI et de la Cour d’appel NTAHANGWA et du TGI et de la cour d’appel MUHA.

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Le cas de la Cour spéciale des terres et autres bien est navrant. Dans le dossier RSTB 0426 où la cour a été amenée à juger le propriétaire de l’immeuble où elle travaille en tant que son locataire ! Le fait par exemple que la cour a autorisé que le bailleur, partie au procès, bénéficie des loyers issus des maisons litigieuses construites par ses adversaires et ce, en attendant l’issue du procès est sans doute un exemple malheureux.

Au demeurant, il est évident qu’un tribunal logé dans les mêmes locaux avec d’autres services publics ou privés est enclin à des sollicitations qui nuisent à l’indépendance du juge.

La promiscuité de la justice avec un autre service est, selon les juges, assez embarrassante car ils pourraient se sentir « gênés et obligés » s’ils étaient sollicités par les agents de ce service.

L’incapacité de l’Etat à loger, correctement, les magistrats pour qu’ils exercent leurs fonctions peut, donc, entamer leur indépendance. Dans plusieurs localités du Burundi, les juridictions ne sont pas pourvues d’infrastructures adéquates pour mener à bien leurs fonctions de distribution de la justice.

Les problèmes d’infrastructures peuvent être analysés comme la faible capacité de l’Etat à mettre les agents dans les meilleures conditions de délivrance des prestations y compris les services publics de souveraineté comme la Justice. Et pourtant, il y a une politique d’élaborer un plan de construction des infrastructures judiciaires et pénitentiaires68 qui n’a pas encore été mis à exécution.

II.7.4.3. Des efforts consentis, largement en dessous des besoins

En 2014, il y a eu de nombreuses constructions des tribunaux de résidence et constructions ou réhabilitation de quelques tribunaux de Grande Instance avec l’appui des partenaires techniques et financiers69. Avec 2015, l’Agence

68 Politique sectorielle du Ministère de la Justice 2016-2020, p.33
69Le programme GUTWARA NEZA pour les tribunaux de résidence, le projet CTB-JUSTICE pour les tribunaux de grande instance.

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belge de coopération au développement CTB venait de construire un immeuble abritant la Cour suprême avec une aile de trois bureaux et deux salles de formation dédiée au Centre de Formation Professionnelle de la Justice. C’est par manque d’infrastructures que le tribunal du travail de Bujumbura vient d’occuper temporairement l’aile du Centre de Formation Professionnelle de la Justice en juin 2020 pour le deuxième déménagement en une année.

La stratégie sectorielle 2016-2020 énonce clairement le problème de manque d’infrastructures en ces termes : « la plupart des services du ministère de la Justice occupent des lieux loués tandis que la capacité de toutes les maisons pénitentiaires est largement dépassée. Par ailleurs, le budget alloué à la maintenance des infrastructures est insignifiant. Les constructions faites n’ont pas tenu compte des besoins et des priorités du ministère de la Justice en raison de l’absence de programmation. Ceci dit, le ministère de la Justice procédera à court terme, à l’identification des besoins et élaborera un plan de développement des infrastructures à moyen terme permettant de définir les priorités »70.

II.7.5. Sollicitations et entraves à la distribution d’une justice impartiale

En plus des contraintes quotidiennes liées aux conditions de travail, les magistrats, comme d’ailleurs tous les autres fonctionnaires, doivent faire face aux sollicitations non seulement des autres agents publics, en contrepartie en quelque sorte de « leurs demandes ponctuelles », mais aussi de la société toute entière. Les sollicitations et interférences dans le fonctionnement des services publics, ne sont-elles pas, désormais, considérées comme faisant partie de nos us et coutumes ?

• Les sollicitations directes

Les sollicitations, aux dires des magistrats et de tous les personnels impliqués dans la délivrance de la justice, sont une réalité. Elles ne se

70 Politique sectorielle du Ministère de la Justice 2016-2020, p.33

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limitent d’ailleurs pas aux seuls agents de la justice, mais font partie du quotidien des agents publics.

Il est courant d’entendre dans les services, « je viens de la part de telle ou telle personne », comme phrase introductive de la conversation. L’égalité devant le service public, pourtant clairement proclamé dans de notre constitution du 7 juin 201871 a, finalement, très peu de valeur juridique réelle. Parfois ce sont les greffiers ou les agents de sécurité à qui les justiciables recourent pour être introduits chez les juges.

Nous estimons que le principe de l’égalité entre les hommes/les femmes doit être rigoureusement observé par la justice parce que son altération pourrait nuire à l’Etat de droit. Pour les magistrats, « Il n’y a pas d’affaires nobles, et d’autres subalternes ou médiocres, voire méprisables. Il n’y a que des dossiers sur lesquels le magistrat doit porter toute son attention lorsqu’ils sont de sa compétence »72.

• Les sollicitations indirectes

Il peut arriver qu’un juge fasse, à l’extérieur du tribunal, l’objet de tentatives de la part de tiers cherchant à influencer ses décisions dans des affaires en instance. Ces tentatives, quelle qu’en soit l’origine – ministérielle, politique, officielle, journalistique, familiale, etc., doivent être fermement rejetées. Les menaces pesant sur l’indépendance judiciaire peuvent parfois prendre la forme de tentatives subtiles visant à influer sur la façon dont le juge devrait aborder une affaire donnée ou à gagner sa faveur d’une manière ou d’une autre. Toute tentative extérieure de cette nature, qu’elle soit directe ou indirecte, doit être repoussée. Dans certains cas, en particulier lorsque les tentatives sont réitérées face au rejet, le juge doit en aviser les autorités compétentes. Un juge ne doit pas consentir à ce que les relations familiales, sociales ou politiques puissent influencer la moindre décision de justice.

71 Art. 22 « Tous les citoyens sont égaux devant la loi, qui leur assure une protection égale »

72 Pierre Truche, cité par Mamadou FOMBA, « La profession de magistrat au Mali. La difficile quête de l’indépendance du juge », Thèse de Doctorat en Science politique, 19 décembre 2013, p. 178

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Il est courant de critiquer les membres de la fonction publique. Dans les limites fixées par la loi, les juges ne devraient pas s’attendre à ce que leurs décisions, leurs motifs et leur gestion d’une affaire soient à l’abri des critiques au niveau de la sphère politique, la presse ou d’autres sources. Ce sont des critiques qui ont leur sens et leur but sur la conduite d’une affaire.

Bien qu’un juge doive s’imposer un mode de vie et une conduite plus stricts et austères que le commun, il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il se retire complètement de la vie publique pour une vie exclusivement privée axée sur son foyer, sa famille et ses amis. L’isolement total d’un juge vis-à-vis de la communauté dans laquelle il vit n’est ni possible ni bénéfique. De fait, connaître le public est essentiel pour administrer correctement la justice.

Un juge ne s’enrichit pas seulement de sa connaissance du monde réel.

Aujourd’hui, la fonction du juge ne se limite pas à la résolution de différends.

De plus en plus, on lui demande de s’atteler à de vastes questions concernant les valeurs sociales et les droits de l’homme, de trancher des questions morales sujettes à controverse, et ce dans des sociétés de plus en plus pluralistes.

Malgré l’existence des sollicitations polymorphes qu’il sied de maîtriser, nous estimons qu’un juge coupé de la réalité sera vraisemblablement moins efficace.

Sous cette lancée, il sied également de souligner que « un autre élément non négligeable qui affecte l’indépendance de la magistrature est la difficulté des magistrat à garder la neutralité politique ». On constate actuellement une forte tendance à adhérer aux partis politiques au pouvoir comme de l’opposition73. Si cela devait se généraliser, il y aurait malheureusement une politisation à outrance de la magistrature et partant sa totale dépendance.

73 Cas des magistrats de la Cour d’appel de Bururi condamnés en 2019 pour avoir participé dans une réunion clandestine d’un parti de l’opposition.

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II.7.6. Déficit en formation

II.7.6.1. Des ressources humaines

La réussite de toute organisation dépend de la qualité des hommes et des femmes qui constituent son capital humain. En effet, les ressources humaines sont le moteur qui permet aux services judiciaires de mener leurs activités avec la plus grande efficacité et en toute indépendance. Ce moteur doit être le plus performant, le plus adapté à chaque situation au travers de la formation professionnelle.

Le 8 novembre 2017, les membres de l’Organisation internationale pour la formation judiciaire (IOJT), composée de 129 institutions de formation judiciaire représentant 79 pays, ont adopté à l’unanimité la déclaration des principes directeurs pour la formation judiciaire. Ces principes reflètent la manière dont les membres de l’IOJT conceptualisent et s’efforcent de mettre en œuvre la formation judiciaire. Ces principes constituent à la fois la base commune et l’horizon qui unit les institutions de formation judiciaire à travers le monde, au-delà de la diversité des systèmes judiciaires. L’IOJT encourage toutes les institutions et tous les acteurs impliqués dans la formation judiciaire à utiliser ces principes comme base et source d’inspiration, mais aussi comme cadre commun guidant leurs activités de formation judiciaire. Ce sont des principes qui concernent les procureurs, avocats, personnel des juridictions et autres, selon le système judiciaire.

Aux termes de cette déclaration, « la formation judiciaire est essentielle pour garantir un haut niveau de compétence et de performance. La formation judiciaire joue un rôle fondamental pour garantir l’indépendance de la justice, l’Etat de droit et la protection des droits de tous 74 ».

Dès lors, il convient de s’assurer que les juges reçoivent une formation appropriée, en ce qui concerne tant leur formation permanente que celle qui est nécessaire au stade initial de leur accession à la magistrature. Pour leur

74 Organisation Internationale pour la Formation Judiciaire (IOJT), Déclaration des principes de la formation judiciaire Adoptée le 8 novembre 2017, art. 1.

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part, les juges ont l’obligation de maintenir le niveau de compétence qu’exige l’exercice de leurs fonctions.

«  Afin de préserver l’indépendance de la justice, la conception, le contenu et la mise en œuvre de la formation judiciaire doivent relever de la responsabilité de la magistrature et des institutions de formation judiciaire. 75 ».

II.7.6.2. Formation judiciaire à la merci de l’exécutif

L’indépendance de la justice nécessite l’absence d’influence indue ou inappropriée sur la formation judiciaire. Compte tenu du fait que les séminaires et ressources, tels que les modules pédagogiques, peuvent potentiellement influencer la conduite et les décisions des magistrats, le contenu et la mise en œuvre de la formation judiciaire doivent être proposés sans aucune influence indue ou inappropriée d’une quelconque entité qui pourrait en tirer profit, y compris les autorités finançant la formation, le législateur, les cadres du gouvernement, les personnes qui ont un pouvoir politique ou financier, et autres. Les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire renforcent l’idée que la magistrature et les institutions de formation judiciaire doivent être responsables de la conception, du contenu et de la mise en œuvre de la formation judiciaire76.

Les hautes autorités judiciaires ou entités judiciaires décisionnelles, tels que le Conseil supérieur de la magistrature ou la Cour suprême. Il est de la plus haute importance que ces institutions soutiennent et fassent la promotion de la formation judiciaire. En tant qu’entités dirigeantes, elles doivent encourager les magistrats à se former tout au long de leur mandat, et réaffirmer que cette formation est nécessaire pour tous les magistrats, y compris les plus expérimentés et les plus compétents (qui, étant donné leur position dans la magistrature, peuvent montrer que la formation n’est ni un

75 Art. 2, op.cit.

76 Les principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (Projet de Bangalore 2001 sur un code de déontologie judiciaire, adopté par le Groupe judiciaire sur le renforcement de l’intégrité de la justice et révisé lors de la table ronde des premiers présidents organisée au Palais de la Paix à La Haye les 25 et 26 novembre 2002)

71

signe de faiblesse, ni uniquement destinée aux magistrats peu efficaces, mais plutôt une nécessité permanente pour tout magistrat).

L’Organisation internationale pour la formation judiciaire (IOJT) oblige les Etats à financer les formations des magistrats. Aux termes de l’article 4 de la déclaration : « Tous les Etats doivent : (i) Accorder suffisamment de financement et autres ressources à leurs institutions responsables de la formation judiciaire afin qu’elles puissent atteindre leurs buts et objectifs ; et

(ii) Mettre en place des systèmes pour s’assurer que tous les magistrats disposent de la possibilité de se former. » Les Etats doivent s’assurer que les institutions de formation judiciaire disposent des financements et autres ressources nécessaires pour garantir leur autonomie (c’est-à-dire pour leur permettre d’exécuter leur mandat sans dépendre de tiers pour le financement).

En France, comme dans d’autres pays77, la formation des juges est confiée

à une école, qui est dotée d’un statut d’établissement public, d’une autonomie administrative et de gestion. L’école est en outre placée sous la tutelle de ce membre du Gouvernement qui choisit le Directeur et les enseignants. Enfin l’autonomie budgétaire de l’école est relative. Le budget est établi et présenté au parlement par le Ministre de la justice78.

Au niveau de l’EAC, tous les Etats membres se sont dotés des institutions de formation judicaire qui sont cordonnées par l’East African Judicial Education Committee.

En 2003, le Burundi s’est doté d’un Centre de Formation Professionnelle de la Justice79 qui est logé dans des bâtiments loués par l’Etat. Le Centre a pour missions de :

77 IFJ Belgique, JTI Kenya, IDLP Rwanda, ENAM au Bénin, INFJ en Côte d’Ivoire et au Mali

78 Guy CANNIVET, « La conception française de l’indépendance de la justice », p.7

79 Art. 3 du décret n° 100/178 du 8 décembre 2003 portant Création d’une administration personnalisée de l’État dénommée Centre de Formation Professionnelle de la Justice.

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-  dispenser une formation professionnelle initiale aux magistrats stagiaires et aux candidats magistrats des tribunaux de résidence, greffiers, huissiers, secrétaires des parquets et du personnel pénitentiaire ;

-  dispenserune formation continue aux magistrats, huissiers, greffiers, secrétaires des parquets et personnel pénitentiaire ;

-  élaborer et diffuser la documentation juridique et judiciaire ;

-  servir de cadre de formation initiale ou continue et de perfectionnement pour les avocats et les notaires ;

-  servir de cadre de formation continue et de perfectionnement pour la police judiciaire.

Le Centre a adhéré à l’Organisation internationale pour la formation judiciaire (IOJT) en 2013 et enregistre des arriérés de cotisations. Il a développé des curricula de formation écrits par un pool de 40 formateurs formés en ingénierie de formation.

Le personnel affecté à la gestion quotidienne du Centre de Formation professionnelle de la Justice est insuffisant et comprend 12 unités dont 3 au niveau de la Direction, 3 conseillers techniques, 1 chargé de stage, 1 conseiller pédagogique et 4 unités d’appui.

Avec 91 052 430 BIF80 de subventions de l’Etat par an (soit 4% du budget du Ministère de la Justice), ce montant qui est largement insuffisant par rapport aux besoins de formation du personnel judiciaire et il ne couvre que les frais du personnel (72 651 936 BIF) et de fonctionnement (16 000 494 BIF) et les investissements sont pris en charge en grande partie par les partenaires œuvrant dans le domaine de renforcement des capacités.

Il est important de noter que le manque de partenaires dans ce domaine pourrait impacter négativement le renforcement des capacités et, par conséquent, l’indépendance de la magistrature.

80 Loi budgétaire et annexes 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019.

73

RECETTES (2017 EN BIF)
Subvention de l’Etat 91 052 430
Autres ressources 207 073 130
Unicef 98 326 270
Terre des Hommes 50 904 000

PNUD 57 842 860

Autofinancement -

TOTAL 298 125 560
Tableau 2 : Les ressources du CFPJ en 2017

Source : Rapport CFPJ, 2017

DEPENSES (2017 EN BIF)

Fonctionnement 16 000 494

Personnel 72 651 936

Investissement (Formation) 209 473 130

TOTAL 298 125 560
Tableau 2 : Les dépenses du CFPJ en 2017

Source : Rapport CFPJ, 2017

La formation du personnel en général, et des magistrats en particulier, étant identique à un investissement, le Burundi devrait doter le Centre de ressources suffisantes et des infrastructures adaptées à l’instar d’autres instituts de formation judiciaire de la région. De la sorte, il répondrait au vœu du renforcement de l’indépendance de la justice prônée par l’IOJT et d’autres organisations régionales et internationales dont il est membre. Il y a lieu de se réjouir que le Ministère ayant la Justice dans ses attributions soit appelé à initier l’Ecole de la Magistrature81 et d’espérer que l’école sera suffisamment outillée et contribuera énormément à l’indépendance de la justice par la formation initiale et la formation continue des magistrats.

81Art. 34 du décret n° 100/007 du 28 juin 2020 portant révision du décret n° 100/037 du 19/04/2018 portant structure, fonctionnement et missions du Gouvernement de la République du Burundi.

74

CHAPITRE 3 :PROPOSITIONS D’AMELIORATION DE L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE

Nous avons constaté que théoriquement, la constitution a établi clairement l’indépendance des pouvoirs. En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, il ne revient qu’aux deux autres pouvoirs de consacrer son indépendance.

Une fois que la constitution a établi les conditions d’indépendance, il est impératif que les responsables se réfèrent à la loi et fassent respecter les principes y afférents. Puisque les lois existent, il nous faut d’ores et déjà des hommes et des femmes courageux qui soient capables de les faire appliquer.

Le manque d’indépendance des cours et tribunaux, en particulier du pouvoir politique (exécutif et législatif), devient le tendon d’Achille du pouvoir judiciaire.

Alors qu’actuellement le lien de consubstantialité entre la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire (telle que théorisée depuis JOHN Locke et Charles Montesquieu en particulier) est presqu’unanimement reconnu, l’analyse faite de la législation burundaise révèle que nonobstant son inscription dans la Constitution burundaise, la séparation des pouvoirs est loin de trouver un cadre normatif cohérent, propice à son épanouissement. De même, certaines pratiques sont déstructurantes par rapport à l’indépendance de la Justice. Nous proposons ici des pistes d’amélioration

III.1 Cadre normatif : besoin d’harmonisation en vue de l’indépendance de la magistrature

Le chapitre 2 de la présente étude a mis en exergue plusieurs incohérences juridiques entre notamment la constitution, la loi portant statut des magistrats, celle régissant le conseil supérieur de la magistrature ou celle portant déontologie des magistrats. Outre cette incohérence normative,

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l’étude a montré que ces textes sont taillés à la mesure de l’exécutif et mettent le judiciaire sous son autorité. Il est nécessaire qu’ils soient révisés dans le sens d’un équilibre de pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Concrètement, nous proposons ce qui suit :

1. La constitution

Etant le socle de tout le cadre législatif, la loi fondamentale devrait être revisitée pour plus d’indépendance de la justice au Burundi. En effet, la Constitution de la République du Burundi du 7 juin 2018 laisse un flou sur l’exercice du pouvoir judiciaire. Alors que des dispositions constitutionnelles sont expresses pour les autres pouvoirs82, nous constatons qu’il n’en est rien pour le pouvoir judiciaire. La loi fondamentale se limite notamment à sa composition et au principe de son indépendance par rapport aux deux autres pouvoirs sans préciser réellement qui l’exerce. Il y a nécessité de révision.

A l’instar d’autres législations de la Communauté est Africaine dont le Burundi est membre, nous estimons que la Constitution de la République du Burundi devrait être revisitée pour confier l’exercice du pouvoir judiciaire à la Cour suprême et aux autres cours et tribunaux institués par la Constitution et les autres lois en termes non ambigus : « Le Pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême et aux autres cours et tribunaux institués par la constitution et autres lois »83. La constitution de la République kenyane l’énonce clairement aux alinéas 1 des articles 159 et 160 : “Judiciary authority is delivered from people and vest in, and shall be exercised by, the courts and tribunals established by or under this constitution. In the exercise of judicial authority, the judiciary,..., shall be subject only to this constitution and the law and shall not be subject to the control or direction of any person or authority”.

82 Art. 93 « Le Président de la République est le chef du pouvoir exécutif. Il est assisté dans ses fonctions par le Vice-Président de la République » ; Art. 152 alinéa

1 « Le pouvoir législatif est exercé par le parlement qui comprend l’Assemblée
Nationale et le sénat ».

83 Art. 140 alinéa 1 de la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003.

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Une autre barrière à l’indépendance de la justice au Burundi est liée au processus de nomination de certains magistrats. « Les nominations aux emplois supérieurs telles que précisées à l’article 192, 9° de la présente constitution ne deviennent effectives que si elles sont approuvées par le Sénat »84. Il s’agit d’une catégorie importante de magistrats des juridictions supérieures dont la nomination ne peut être effective qu’après l’approbation du sénat.

Nous estimons que c’est une forme de soumission du pouvoir judiciaire à un autre pouvoir, c’est-à-dire, le pouvoir législatif, que le constituant a légalisée. Allant dans le sens du renforcement de l’indépendance de la justice, nous proposons que la disposition serait reformulée de cette manière : « A l’exception des magistrats du siège nommés par le Président de la République sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, les nominations aux emplois supérieurs telles que précisées à l’article 192, 9° de la présente constitution ne deviennent effectives que si elles sont approuvées par le Sénat ».

2. La loi organique n°1/21 du 03 août 2019 portant modification de la loi n°1/07 du 25 février 2005 régissant la cour suprême.

La nouvelle loi régissant la Cour suprême oblige le juge saisi de révision à aborder la question de fond : « (…) si le Ministre trouve que les conditions de recevabilité sont réunies, il donne un ordre exprès au procureur Général de la République qui en saisit la cour. Celle-ci statue obligatoirement au fond »85.

Certes, la loi donne au ministre de la Justice les prérogatives d’apprécier les éléments de recevabilité de la révision. Mais la difficulté est que la même loi empêche au juge de la Cour suprême en tant que haute cour d’analyser la question de recevabilité de l’action dont il est saisi. Or, la question de la recevabilité de l’action est une tâche exclusivement judiciaire. D’ailleurs pour

84 Art. 112, alinéa 3 de la Constitution de la République du Burundi.

85 Art. 163 et 171 de la loi n°1/21 du 03 août 2019 portant modification de la loi n°1/07 du 25 février 2005 régissant la Cour suprême.

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le reste des juridictions du Burundi, ordinaires et extraordinaires, seul le juge est compétent pour analyser la recevabilité. La deuxième préoccupation est

à la fois d’ordre pratique et juridique. Si effectivement la partie demanderesse de la révision a perdu le procès à la suite des fins de non-recevoir, est-ce que le juge de haute Cour va fermer les yeux sur cette question ! Pourtant la Cour suprême tranchait bon nombre de questions en rapport avec les fins de non-recevoir. En conséquence, les juridictions inférieures, de même que les justiciables seront privés d’une matière extrêmement importante.

Ces dispositions devraient être censurées par le juge constitutionnel, évidemment au cas où il en serait saisi.

Les articles 163 et 171 amputent la compétence de statuer sur la recevabilité aux magistrats et la donnent au ministre de la Justice.

Il nous semble illogique de confier le traitement des questions de recevabilité des demandes en justice aux autorités de l’exécutif. Il est impérieux de revisiter la loi régissant la Cour suprême dont certaines de ses dispositions précitées énervent le principe de l’indépendance de la justice. Concrètement, il faudrait supprimer la dernière phrase de chaque disposition

«  la cour doit obligatoirement statuer au fond ».

3. La loi portant statut des magistrats

La protection de l’indépendance judiciaire implique l’existence de certaines règles liées à l’exercice de la fonction judiciaire qui forment le statut juridique particulier du juge et qui le distingue des autres cadres et agents de l’administration publique86. Ce statut crée les conditions qui permettent concrètement aux personnes qui accèdent à la magistrature de devenir indépendantes et de le demeurer pendant toute la durée de leurs fonctions judiciaires. Assumer constamment la prééminence du droit est pour eux, à

86 Art. 2 la loi n°1/08 du 28 avril 2011 portant organisation générale de l’administration publique.

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cet égard, un impératif, une obligation non négociable dans tout Etat de droit87.

Le serment de l’article 111 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires que doit prêter le magistrat avant d’entrer en fonction est assez clair : « Je jure de respecter la constitution et les lois de la République, de me comporter avec dignité, loyauté, et d’être respectueux des droits de toutes les parties et du secret professionnel ».

Faisons observer qu’il est en contradiction avec celui porté par le Statut des magistrats : « Je jure obéissance aux lois et fidélité aux institutions de la République88 ».. Le droit étant une science connue des initiés, il est urgent de lever l’équivoque pour réviser le statut des magistrats notamment sur le contenu du serment.

Le serment de l’article 111 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires que doit prêter le magistrat avant d’entrer en fonction est assez clair : « Je jure de respecter la constitution et les lois de la République, de me comporter avec dignité, loyauté, et d’être respectueux des droits de toutes les parties et du secret professionnel ».

Il est en contradiction avec celui porté par le Statut des magistrats : « Je jure obéissance aux lois et fidélité aux institutions de la République89 », parce que le juge doit servir deux maîtres à la fois90. Le droit étant une science connue des initiés, il est urgent de réviser la loi partant statut des magistrats pour remplacer le serment prévu par l’article 12 par celui de l’article 111 du COCJ.

87 E. MINANI, « Analyse du guide déontologique et disciplinaire du magistrat », Rapport définitif, Bujumbura, juillet 2017, p.10

88 Art. 12 du Statut des magistrats.

89 Art. 12 du Statut des magistrats.

90 Lorsque l’exécutif garde la mainmise sur le judiciaire, les magistrats sont enclins à servir la loi de l’autorité au lieu de servir l’autorité de la loi.

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4. Le Guide déontologique et disciplinaire du magistrat

Le guide déontologique et disciplinaire du magistrat énonce l’indépendance de la justice comme un principe fondamental en le situant sur les plans institutionnel et individuel91. L’indépendance judiciaire ne dispense pas les juges du respect d’une certaine déontologie judiciaire, que l’élaboration d’un code d’éthique permet de préserver92. La déontologie judiciaire a pour objet le respect de certaines valeurs nécessaires à l’exercice de la fonction judiciaire : la conformité de la conduite des juges aux exigences de la fonction qu’ils exercent ; le maintien de leur indépendance et de leur impartialité ; la préservation de leur intégrité et de leur compétence ; le respect de l’égalité entre les justiciables. Bien qu’ils ne soient pas redevables de leurs jugements, les juges le sont de leur conduite.

Tout en affirmant le principe de l’indépendance de la magistrature, nous constatons que le Guide le vide de son sens, spécialement par l’article 88. En effet, il est stipulé dans cette disposition que les hautes autorités du pouvoir judiciaire (Président de la Cour suprême, Président de la Cour Constitutionnelle et Procureur Général près la Cour suprême) sont sanctionnées (suspension de fonctions ou révocation) par des autorités relevant du pouvoir exécutif. Une harmonisation est nécessaire.

Sans reprendre la recommandation des états généraux de la Justice du 05 au 9 août 2013 sur la réforme de la composition des membres du Conseil supérieur de la magistrature qui est de la compétence du constituant, il apparaît clairement que l’article 88 du Guide met les plus hautes autorités du pouvoir judiciaire sous le contrôle et la discipline de l’exécutif. Nous recommandons que cet article soit revu en vue du respect même du but recherché par le Guide car c’est un outil de responsabilisation des magistrats et de toute l’institution judiciaire. Concrètement, la discipline des membres du corps de la magistrature et les sanctions aux contrevenants

91 Art. 5 à 8 du 30 avril 2013 portant guide déontologique et disciplinaire du magistrat
92 Art. 2 du décret n° 100/114 précité.

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devraient relever du Judiciaire comme pour les membres des autres pouvoirs93.

III.2 La récusation et l’abstention du magistrat : des mécanismes juridiques en besoin d’amélioration

Le principe fondamental est que nul ne peut être juge de sa propre cause.

Ce principe a deux effets fort semblables mais non identiques.

Premièrement, il peut être appliqué littéralement : si un juge est effectivement partie à un procès et a un intérêt économique dans l’issue de l’affaire, on peut alors en effet dire qu’il siège en qualité de juge dans sa propre affaire. C’est là un motif de récusation suffisant.

Deuxièmement, le principe peut être aussi appliqué dans les affaires où le juge n’est pas partie au procès et n’a aucun intérêt économique quant à son issue, mais se comporte de telle façon qu’on le soupçonne de n’être pas impartial, par exemple du fait de son amitié pour l’une des parties. Dans ce deuxième cas de figure, il ne s’agit pas à strictement parler d’une application du principe selon lequel nul ne doit être le juge de sa propre cause, car la partialité réelle ou supposée du juge ne l’avantage pas personnellement mais avantage un tiers.

S’agissant de l’abstention, le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation, ou estime en conscience devoir s’abstenir, se fait remplacer par un autre juge que désigne le président de la juridiction à laquelle il appartient. Lorsque l’abstention de plusieurs juges empêche la juridiction saisie de statuer, il est procédé comme en matière de renvoi pour cause de suspicion légitime.

93 Art. 92 de la Constitution : « le pouvoir exécutif est exercé par un Président de la République, deux vice-présidents de la République et les membres du Gouvernement ; art. « le pouvoir législatif est exercé par le parlement qui comprend les deux chambres : l’Assemblée Nationale et le Sénat » ; art. 209 : « le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir législatif et exécutif ».

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De tout ce qui précède, il y a un souci de concilier deux impératifs contradictoires, à savoir la sécurité judiciaire et la protection des justiciables contre la partialité des juges. En effet, en affirmant que « La partie qui veut récuser un juge doit, à peine d’irrecevabilité, le faire dès qu’elle a connaissance de la cause de récusation », mais qu’aucune « demande de récusation ne peut être formulée après la clôture des débats », on laisse le champ libre aux éventuelles interférences du juge lui-même dans la procédure judiciaire, lorsqu’il découvre plus tard, avant de vider le contentieux qu’il y a un intérêt.

Puisqu’il ne peut plus être récusé, il peut donc être partial. La meilleure façon de protéger le justiciable contre la partialité des juges serait d’admettre les possibilités de récusation tant que la décision n’est pas rendue, y compris après la clôture des débats et pendant le délibéré. En effet, tant que le justiciable n’a pas de décision de justice entre ses mains, il reste, au Burundi, un potentiel solliciteur.

Nous estimons qu’accepter les possibilités de récusation tant que le juge n’a pas rendu sa décision n’est que faire peser sur tout le procès un risque de remise en cause jusqu’à la fin de la procédure.

Les pratiques des acteurs peuvent, elles aussi, entraver la mise en œuvre du mécanisme.

Un autre souci est l’absence de la procédure de suspicion légitime en matière civile au Burundi. En effet, comme le dit si bien Dr Aimé Parfait NIYONKURU, le droit burundais n’énumère pas la suspicion légitime parmi les causes de récusation du juge ; une cause qui permettrait de mettre en doute l’impartialité d’une juridiction dans son intégralité et d’en demander le dessaisissement et le renvoie de la cause devant une autre juridiction. Et pourtant, il n’est pas inimaginable qu’une partie à un procès civil puisse avoir un sentiment légitimement fondé de manque d’impartialité contre l’ensemble des juges composant une juridiction94. C’est le cas par exemple de l’affaire

94 A.P. NIYONKURU, in Revue Burundaise de Droit et Société, p. 135

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RSTB 0426 où le propriétaire de l’immeuble abritant la cour est justiciable devant la même cour.

Si les phénomènes de récusation sont une réalité, malgré ses difficultés ponctuelles de mise en œuvre, son esprit, du point de vue de son effectivité, ne semble pas être respecté. En fait, la loi oblige un juge à se récuser, ou de se faire récuser par un justiciable lorsqu’on soupçonne sa partialité quant à l’issue réservée au règlement du litige. Or, la récusation devient privée d’effet du fait de l’esprit de solidarité qui prévaut au sein du corps.

III.3 La gestion « pédagogique » des relations sociales : une initiative personnelle du juge pour améliorer l’image de la justice

La gestion pédagogique des relations sociales touche à l’accueil, à l’orientation, à l’explication des décisions de justice aux justiciables dans la langue qu’ils comprennent, etc.

Elle reste importante dans un contexte comme celui du Burundi où la justice cherche à redonner confiance aux justiciables95 et où la plupart des justiciables ignorent les procédures judiciaires.

L’approche « pédagogique » du juge dans ses rapports avec le justiciable renforcerait l’indépendance de celui-ci, en ce sens qu’elle tente de faire dissiper toute idée de suspicion de favoritisme (lié à l’argent, aux relations sociales, etc.) d’une partie par rapport à une autre.

La gestion pédagogique nécessite, donc, une réelle disponibilité du juge. Il doit accueillir, informer, juger, traduire au besoin, et expliquer le bien-fondé de la décision. C’est le prix de l’acceptation et de l’adhésion du justiciable à sa décision.

95 La Stratégie nationale d’aide légale ; Le Guide de l’usager du service public de la Justice

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Il s’agit de chercher à dissiper cette image de la profession de magistrat qui est perçue pour la plupart des justiciables, ignorant le droit, comme une activité de répression.

L’exercice de la profession de juge est un véritable art qui nécessite des vertus de dialogue, de communication, de disponibilité et beaucoup de tacts avec le justiciable.

Par la gestion « pédagogique », il s’agit, en clair, de tenter de faire tomber cet « a priori » sur la fonction du juge, selon lequel le juge est toujours influencé soit par les relations personnelles ou économiques, soit par les pouvoirs publics. Il ne serait donc pas indépendant, mais plutôt dépendant de ces influences. Tenter de faire tomber cet « a priori » renforce, selon les juges, l’esprit d’indépendance du juge chez le justiciable. C’est cela qui explique les exercices et efforts d’explication des décisions de justice96 afin que le justiciable soit conscient qu’il existe, certes, certains juges qui rendent une justice « à deux vitesses », mais pas tous.

Comme la gestion pédagogique exige beaucoup de disponibilité de la part du juge, il importe, toutefois, de mentionner cette mise en garde de P. Truche : « Participant à la régulation de la vie sociale, faite d’attentes, d’accidents, d’impondérables, (le magistrat) doit y répondre dans un délai raisonnable. A trois conditions :

-  Ne pas entraîner dans la même démarche ses collaborateurs, greffiers et fonctionnaires dont le rôle est indispensable mais dont le respect du statut est une marque de considération qui leur est due.

-  Ne pas accepter non plus que l’abondance des charges, due à l’importance du contentieux et à la complexification des procédures, conduise à restreindre si peu que ce soit sa faculté de décision. (…).

-  Enfin, ne pas se laisser dévorer au point de sacrifier sa vie personnelle. La magistrature est une profession qui exige certes du

96 La pratique de moralisation et des causeries judiciaires avec le Ministre de la Justice ; L’accueil des justiciables par le Cabinet du Ministre de la Justice pour chaque mardi.

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dévouement, mais ce n’est pas un sacerdoce exclusif et jaloux. Il y a de la vie ailleurs, qui nourrit aussi l’exercice de la profession. Il convient de ne pas attendre pour cela la retraite ; c’est trop tard. Il faut s’aérer pour ne pas se racornir ».

III.4 Améliorer les relations administratives entre le pouvoir judiciaire, le législatif et l’exécutif

1. L’accès à la fonction du juge

La question de nomination compromet la carrière des Juges, l’avenir du corps judiciaire ; un système qui ne fait que réduire les Juges à un état de subordination. Différents modes de sélection peuvent permettre l’accès à la magistrature de manière objective.

• Accès par épreuves de concours de sélection

Pour que le pouvoir judiciaire soit absolument indépendant, il faut, que le magistrat de l’ordre judiciaire n’obtienne sa charge ni du législatif, ni de l’exécutif. Le pouvoir doit être dévolu au pouvoir judiciaire au même titre que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Les juges doivent être issus d’un concours aux fins d’exercer leurs fonctions en dehors de toute influence émanant du pouvoir politique.

• Accès par élection

Un autre moyen de renforcer l’indépendance de la justice et de pourvoir à l’élection d’une partie des juges suffrage universel, de la même façon que les Sénateurs et les Députés, le Président de la République ou les conseillers communaux et collinaires, ce qui serait d’ailleurs en conformité avec la Constitution de 2018 qui dispose que le peuple délègue l’exercice de la souveraineté nationale à ses représentants97.

97 Art. 7 de la Constitution de la République du Burundi.

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Ce ne serait pas un acte anticonstitutionnel que d’élire les juges, comme cela se fait aux Etats-Unis où le système de juges élus est appliqué et très développé, non sur le plan fédéral mais au niveau des Etats. Depuis l’élection de Jackson à la présidence en 1826, quarante États des Etats-Unis ont adopté le système de l’élection des juges au suffrage universel.

Il est évident que ce système n’a pas toujours donné de bon résultat. D’abord, il ne donne aucune garantie de compétence juridique. Ensuite, les candidats aux fonctions juridictionnelles ont dû faire des alliances avec les partis politiques. Donc, outre la garantie de compétence, la garantie d’impartialité n’est pas forcément assurée par ce système.

Par contre, au Burundi, on pourrait partir sous un angle, avec bien sûr certaines corrections, qui permettraient aux juges élus d’exercer librement leurs fonctions sans aucune forme de redevance politique. Les critères à retenir seront : la non appartenance à un parti politique, être membre d’une association de juristes reconnue par l’Etat, l’approbation préliminaire de cette association. Alors le candidat pourra se présenter auprès de l’électorat qui aura seul le dernier mot.

Ces élections, toutefois, se réaliseront au niveau de certains juges mais, à l’instar de celles des autres pouvoirs, au suffrage universel. Les juges élus seront ceux de la Cour suprême et ceux des Cours d’Appel. Ils formeront alors entre eux une commission qui aurait pour mission de choisir les juges des tribunaux intermédiaires selon la pyramide judiciaire burundaise, à partir d’un système de recrutement par concours qui permettra de les classer d’après le résultat des épreuves. Il serait indiqué alors que lesdites épreuves soient assurées par des examinateurs indépendants (universitaires, anciens magistrats etc....).

Ainsi, non seulement les critères de compétence seront garantis mais l’impartialité et l’indépendance des magistrats seront assurées.

• Objectivité et transparence du processus de nomination

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Le processus de nomination à la magistrature devrait être clairement établi et soumis à l’attention du public. D’une part, ce processus doit favoriser le choix de personnes propres à exercer la fonction judiciaire et, d’autre part, il doit contenir les mécanismes nécessaires pour éviter que la nomination des juges s’effectue en fonction de facteurs inappropriés ou qu’elle en donne l’impression. Le contrôle du mode de nomination des juges constitue notamment un moyen de lutter contre la corruption dans le système judiciaire. De même, les juges ne devraient pas être nommés sous condition ou pour une période temporaire, ou encore à temps partiel.

Enfin, le processus de nomination des juges doit permettre, sans discrimination, une représentation équitable de toutes les classes sociales au sein de la magistrature.

Les juges devraient jouir de l’inamovibilité et avoir le droit de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de la retraite obligatoire, à moins que leur état de santé ne justifie un départ prématuré ou que leur conduite ne les rende inhabiles à exercer des fonctions judiciaires. L’inamovibilité implique que les juges ne peuvent être mutés, suspendus, mis à la retraite ou démis, ni faire l’objet de toute autre modification de leur statut, que conformément à la loi. La suppression d’un tribunal de même que la réorganisation du système judiciaire ne devraient pas constituer des raisons suffisantes pour justifier la destitution des juges qui en sont touchés. Ceux-ci devraient être adéquatement indemnisés si aucun autre poste ne peut leur être offert. Les modalités de l’inamovibilité des juges, tout comme l’âge de leur retraite obligatoire, ne devraient pas être modifiées à leur désavantage pendant la durée de leurs fonctions.

A cet égard, il est recommandé de prendre en considération ces préoccupations de manière à affirmer la volonté politique de concrétiser l’indépendance du pouvoir judiciaire et de garantir la bonne administration de la justice à travers le recrutement des magistrats, effectué de manière transparente au moyen d’un concours et suivi par une formation initiale des candidats magistrats ayant réussi au concours d’admission.

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2. La promotion et le commissionnement dans la carrière du juge

L’indépendance de la Magistrature est garantie par l’Etat et trouve son fondement dans la constitution et les lois existantes. De ce fait, il est impératif que cette indépendance soit respectée par toutes les institutions de l’Etat98.

N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur les promotions et les commissionnements ? Les représentants de l’Etat vont-ils choisir quelqu’un ne partageant pas la sensibilité politique du régime en place ? L’on peut également affirmer que les promotions et les commissionnements dans la magistrature reflètent les options politiques de l’Exécutif et la gestion du personnel va dans le sens du régime en place.

Cependant, le législateur-constituant a pris soin de protéger les magistrats contre les éventuels abus du pouvoir Exécutif, et de définir leur statut pour leur permettre de bien remplir leur mission. C’est ainsi que les juges une fois nommés ne peuvent être l’objet d’aucune affectation nouvelle sans leur consentement même en cas de promotion. C’est l’esprit de l’article 22 du statut des magistrats99.

Dans ce sens, les préoccupations relatives aux influences des autorités politiques trouvent des solutions dans la loi fondamentale100. Il est un impératif de reconnaître au seul Président de la République ses prérogatives constitutionnelles en tant qu’autorité unique de nomination et de révocation de tous les magistrats sur avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Ceci est d’autant plus vrai que le Conseil de la magistrature qui doit donner son avis sur la promotion des magistrats est lui-même nommé par le même personnage. L’on peut dire que la nomination du Conseil Supérieur de la

98 Voir art. 18 précité de la Constitution

99 Art. 22 « Le magistrat du siège peut être déplacé pour exercer des fonctions de même grade au moins auprès d’une juridiction de même rang au moins ».
100 Art. 215 et suivants de la Constitution

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magistrature par le Président de la République place l’autorité judiciaire sous le contrôle du chef de l’Etat.

La promotion ou le commissionnement des magistrats reste et demeure toujours une affaire de choix et non d’ancienneté. Cette mobilité dans la carrière du juge devrait se faire en fonction d’une liste d’aptitude et d’un tableau d’avancement ordinaire ou spécial sur lesquels s’inscrit la carrière du juge qu’une commission d’avancement fait son choix en fonction des notes du magistrat.

III.5. La rémunération et l’environnement de travail des juges :

Conditions indispensables à l’indépendance de la magistrature

On demande aux magistrats de garantir les droits des justiciables pendant qu’eux-mêmes n’ont pas de garantie. Ils ne disposent pas de moyens suffisants pour bien remplir leur mission. Ils sont mal rémunérés et leur sécurité n’est pas suffisamment rassurée101.

Les magistrats sont traités en parents pauvres par rapport aux membres du pouvoir politique : c’est-à-dire les parlementaires et les membres de l’exécutif. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le budget qui est alloué à la justice. Du côté des sénateurs, des députés et du gouvernement, c’est l’accalmie, on ne les entend pas se plaindre.

La comparaison des salaires entre un parlementaire et celui d’un magistrat, couplé de celui de leurs niveaux de formation est très significative à ce sujet.

Alors qu’un magistrat des juridictions doit être détenteur d’un diplôme de licence en droit et qu’il touche moins de 300.000F/mois, un parlementaire d’un niveau humanité touche en termes de millions/mois en plus d’autres avantages. La comparaison des cahiers de charges respectives montre que

101 Nous nous référons au salaire de base qui sera la base de calcul pendant la retraite du magistrat.

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les magistrats ont plus de charges et gagnent peu face aux parlementaires moins surchargés et mieux traités.

Les magistrats ne sont pas les seuls responsables du mauvais fonctionnement du système judiciaire mais étant donné qu’ils représentent la partie la plus importante du système, c’est pourquoi un plaidoyer est nécessaire pour changer leurs conditions de vie. Le traitement qu’on leur inflige ne fait pas honneur au pays par rapport aux autres Etats membres de l’EAC dont nous avons la charge d’harmoniser les cadres normatifs. Les séminaires organisés, de temps à autre, par le ministère de la Justice dans le cadre du partenariat ne résoudront pas les problèmes.

La magistrature suppose aussi des infrastructures considérables à l’image de la Justice et des stratégies bien définies. La question de salaire raisonnable est d’ordre primordial. Les diatribes lancées, à tout bout de champ, contre les magistrats ne changeront pas la situation tant qu’on ne les aura pas mis dans une situation confortable de bien-être et d’indépendance et dans une atmosphère de confiance et de non-ingérence où ils seront à l’abri de toute tentation et de toute corruption102. On est toujours prêt à condamner la magistrature mais on ferme les yeux sur les causes de son dysfonctionnement.

III.6 La formation des magistrats : une nécessité vitale

«  Tous les magistrats ont le droit et la responsabilité de se former. Chaque magistrat doit disposer de temps pour prendre part à la formation dans le cadre des fonctions judiciaires. 103 »

102 E. MINANI, « Analyse du Guide déontologique et disciplinaire du magistrat du Burundi », Bujumbura, juillet, 2017, p. 6

103 Organisation Internationale pour la Formation Judiciaire (IOJT), DECLARATION DES PRINCIPES DE LA FORMATION JUDICIAIRE, adoptée le 8 novembre 2017, art. 6.

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La formation continue doit être considérée comme faisant partie intégrante des fonctions judiciaires. La responsabilité d’assurer une formation judiciaire satisfaisante repose sur trois organes : l’Etat, les autorités judiciaires et les magistrats eux-mêmes.

L’Etat doit s’assurer que des infrastructures sont en place pour permettre aux magistrats d’assister aux séminaires de formation judiciaire tout au long de leur carrière. En termes pratiques, cela veut dire nommer suffisamment de magistrats pour donner à chaque magistrat le temps de se former ; et apporter un soutien financier aux institutions de formation judiciaire ou autres organismes fournisseurs de formation judiciaire.

Les autorités judiciaires doivent militer auprès du pouvoir exécutif pour leur permettre d’assumer leurs responsabilités. De plus, les autorités judiciaires doivent soutenir et encourager les magistrats en leur accordant suffisamment de temps en dehors de leurs audiences pour assister à des activités de formation judiciaire et participer à ces événements en tant que formateur. Les autorités judiciaires doivent soutenir les institutions de formation judiciaire en prenant part à leur gouvernance de quelque façon localement pertinente, et en encourageant les magistrats à s’impliquer dans la conception et l’enseignement de la formation judiciaire.

Les magistrats ont la responsabilité d’assister aux activités de formation et, le cas échéant, de se proposer pour travailler sur la formation judiciaire en tant que concepteur, intervenant, facilitateur ou autre. Les magistrats doivent être des apprenants à vie, en identifiant leurs besoins tout au long de leur carrière judiciaire et en participant à la formation pour satisfaire ces besoins.

Aux termes de l’article 7 déclaration des principes de la formation judiciaire de l’Organisation Internationale pour la Formation Judiciaire (IOJT), « Tous les magistrats doivent être formés avant ou au moment de leur nomination, et doivent également être régulièrement formés tout au long de leur carrière. »

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L’organisation reconnaît l’importance de la formation initiale ainsi que de la formation continue.

a) Formation initiale

Au-delà de l’acquisition de connaissances purement juridiques, les magistrats doivent maîtriser des compétences professionnelles spécifiques. Ces compétences universelles comme la capacité à : analyser une situation ou une affaire ; identifier et appliquer les règles de déontologie ; et rendre une décision raisonnée, exécutable, qui est adaptée au contexte. Quelle que soit l’expérience professionnelle des magistrats récemment nommés ou des futurs magistrats, il est nécessaire de les former à ces compétences essentielles, qui ne peuvent pas toutes avoir été acquises au cours de leurs études universitaires ou de leurs expériences précédentes. C’est pour cela que nous reconnaissons la nécessité d’une formation initiale pour tous les magistrats. Au Burundi, les futurs magistrats sont recrutés parmi les lauréats des facultés de droit, des filières juridiques ou les jeunes professionnels du secteur. Leur manque d’expérience est compensé par la durée de leur formation, qui devrait durer normalement deux années104 et qui est toujours considérée comme étant d’une extrême nécessité. Dans les pays de Common Law, les juges sont nommés ou élus parmi les avocats reconnus ayant une longue expérience et un vaste bagage professionnel dans le traitement d’affaires judiciaires. La formation avant la prise de poste dure habituellement quelques semaines et a pour objectif de transmettre aux juges les compétences de base qu’ils n’ont pas eu l’opportunité de mettre en pratique en tant qu’avocats.

Idéalement, la formation avant la prise de poste doit avoir lieu avant que le juge ne siège pour la première fois.

104 Art. 23 du décret n° 100/178 8 décembre 2003 portant Création d’une administration personnalisée de l’État dénommée Centre de Formation Professionnelle de la Justice.

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b) Formation continue

Etant donné que les sociétés et leurs paysages juridiques sont en constante évolution, la formation judiciaire initiale ne peut pas être considérée comme suffisante pour s’assurer que les magistrats travaillent efficacement tout au long de leur carrière, quelles que soient la qualité et la durée de la formation initiale. Il est du devoir d’un magistrat de rester informé des évolutions de la législation et de la jurisprudence pertinente. La formation judiciaire peut aider les magistrats à rester à jour, en particulier étant donné la charge de travail à laquelle les magistrats sont parfois confrontés. Un cadre de formation judiciaire permet aussi aux magistrats d’échanger avec leurs pairs au sujet de la déontologie et des meilleures pratiques, et d’approfondir leurs connaissances et leur compréhension de la société qu’ils servent. Un tel cadre est nécessaire pour que la magistrature puisse évoluer au même rythme que la société. Pour que les magistrats restent à jour, développent et affinent leurs compétences judiciaires, et échangent des idées avec leurs pairs, une formation judiciaire régulière doit se poursuivre tout au long de leur carrière.

III.7. L’examen de la conduite des juges : une affaire du pouvoir judiciaire

Lorsqu’il devient nécessaire d’instituer des procédures disciplinaires contre un juge, cette décision devrait avoir pour fondement des normes de conduite établies par des règles de droit. Les poursuites devraient être conduites avec équité envers le juge, notamment en lui donnant l’occasion de faire valoir ses moyens au cours d’une audition. Le processus disciplinaire devrait également prendre en considération les besoins légitimes du juge et le protéger contre les accusations vexatoires. Il peut ainsi y avoir deux étapes

à franchir : la première pour examiner si les reproches adressés au juge sont suffisamment sérieux pour justifier l’institution de poursuites officielles contre lui ; la seconde, le cas échéant, pour en examiner le bien-fondé et permettre au juge de faire valoir ses moyens.

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En principe, tout processus disciplinaire contre un juge devrait se dérouler à huis clos, à moins que le juge visé ne demande une audience publique ou qu’une raison suffisante le justifie. La décision disciplinaire devrait pouvoir faire l’objet d’un appel devant un tribunal. Elle devrait également être rendue publique. Aucune réprimande ne devrait être administrée publiquement à un juge ; le juge en chef du tribunal devrait s’en charger à l’occasion d’une rencontre privée avec le juge.

Le gouvernement peut participer au processus disciplinaire des juges, mais uniquement par le dépôt de plaintes ou en prenant l’initiative des poursuites disciplinaires ; il ne peut exercer de pouvoir décisionnel à cet égard. Le processus de destitution d’un juge devrait demeurer sous le contrôle du pouvoir judiciaire. Lorsqu’il est exercé par l’exécutif, celui-ci ne devrait agir que sur recommandation d’un organisme composé de juges.

En France comme au Burundi, le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe disciplinaire des juges. Lorsqu’un juge commet un manquement à ses obligations professionnelles, le Ministre de la justice fait procéder à une enquête disciplinaire par un service d’inspection placé sous l’autorité directe du ministre. C’est ensuite le Ministre qui renvoie l’affaire devant le Conseil supérieur de la magistrature. Les poursuites peuvent aussi être engagées par les présidents des juridictions où le juge exerce ses fonctions. Les sanctions disciplinaires sont décidées par le Conseil supérieur de la magistrature. Elles peuvent aller jusqu’à la révocation105.

La carrière et la discipline des magistrats sont donc largement soumises à la garantie du Conseil supérieur de la magistrature.

105 Guy CANNIVET, « La conception française de l’indépendance de la justice », p.7 ; La loi n° 1/001 du 29 février 2000 portant statuts des Magistrats tel que modifiée à ce jour ; Loi n° 1/007 du 30 juin 2003 portant organisation et fonctionnement du conseil supérieur du conseil supérieur de la magistrature ; Décret n° 100/114 du 30 avril 2013 portant guide déontologique et disciplinaire du magistrat.

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En résumé, il est recommandé de revaloriser le statut professionnel du magistrat par des règles strictes de déontologie et de garanties de carrière permettant d’exercer sa profession en toute sécurité et intégrité. C’est dans ce sens qu’il est impérieux de renforcer le régime disciplinaire des magistrats tout en leur garantissant le droit à une procédure transparente et équitable devant le Conseil supérieur de la magistrature.

III.8. La lutte contre la corruption dans le secteur judiciaire

Le grand problème sur ce point est que les corrupteurs font recours au pouvoir pour contrôler ou influencer l’appareil étatique de manière générale, et le pouvoir judiciaire en particulier. Cela porte atteinte à l’indépendance judiciaire et compromet l’impartialité dont les institutions compétentes doivent faire preuve lorsqu’elles sont confrontées aux puissantes structures de la corruption. Nous référant à ce qui se passe ici comme ailleurs, il s’observe que « l’influence des milieux politiques sur les tribunaux est un facteur clef de la corruption judiciaire »106.

En vue de juguler le phénomène de corruption, il est recommandable d’assurer la stabilité des magistrats comme moyen fondamental d’assurer l’indépendance de la magistrature.

Cette stabilité appelle la mise en place d’un ensemble d’outils et de mesures destinées à empêcher la mobilité arbitraire des juges et à garantir que le personnel judiciaire puisse exercer ses fonctions sans peur d’être remplacé pour des motifs autres que purement professionnels. L’indépendance et l’impartialité des juges sont largement tributaires de leur inamovibilité. Lorsque des procès pénaux portent sur des actes de corruption, le Burundi devrait s’assurer de la disponibilité de personnel judiciaire possédant les compétences et la résilience psychologique requises107. En effet, les réseaux des corrupteurs peuvent étendre leur champ d’action au système

106 Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, 16 juillet 2019, p. 16

107 Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats, 16 juillet 2019, p. 15

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judiciaire en imposant leur pouvoir et leur influence selon leurs propres règles, et créant ainsi des zones d’immunité et d’impunité au sein de l’Etat même. Une composante importante de leur organisation est leur aptitude à infiltrer et influencer les institutions juridiques, particulièrement en usant de la corruption pour obtenir accès à l’administration judiciaire. La corruption est ainsi à l’origine de l’impunité que ces groupes criminels réussissent à obtenir.

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CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS

Au terme de la présente étude, il a été constaté que l’indépendance de la magistrature trouve son assise dans plusieurs textes juridiques burundais, à commencer par la constitution, les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Burundi et le cadre juridique interne. Mais, il a été constaté que cette indépendance n’est que de principe puisque ces textes juridiques rompent l’équilibre naturel des trois pouvoirs pour mettre le judiciaire à la merci de l’exécutif. Cela transparaît essentiellement sous l’angle de l’indépendance institutionnelle et, dans une moindre mesure, sous l’angle décisionnel.

Même si la séparation des pouvoirs est consacrée, le pouvoir judiciaire est sujet à des empiètements de la part des autres pouvoirs, mais surtout de l’exécutif. En conséquence et en fait les relations entre les trois pouvoirs penchent en défaveur du judiciaire dont les membres sont recrutés et nommés par l’exécutif et des fois sur approbation du législatif. C’est le même pouvoir exécutif qui gère discrétionnairement les promotions des magistrats qui n’ont pas assez de garantie quant à la durée de leur fonction, et ce dans un contexte où l’inamovibilité n’est qu’une illusion. Le rôle de la Cour suprême est mitigé et fortement limité face à l’exécutif qui va jusqu’à lui retirer sa fonction naturelle : statuer sur la recevabilité. La lenteur de la décision affecte aussi l’indépendance de la magistrature qui n’a aucun contrôle sur le SNR et la Cour spéciale des terres et autres biens, organes exerçant une fonction judiciaire, mais dépendant de la Présidence de la République.

S’agissant de l’indépendance décisionnelle, elle est marquée par l’impartialité du juge, vertu difficile dans un contexte peu favorable au juge burundais. L’indépendance de la magistrature souffre aussi d’une insuffisance de ressources humaines. Alors que les syndicats devraient jouer un rôle important, ils se distinguent par leur mutisme pour échapper aux pesanteurs de l’exécutif à côté des avocats dont le rôle est peu visible, pouvant par contre consister à affaiblir l’indépendance du juge plutôt qu’à

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l’éclairer. Enfin, l’étude conclue que l’indépendance dont il est question ne concerne pas le ministère public.

Au sujet des obstacles, les lacunes juridiques sont les plus évidents et criants. Il existe aussi de nombreux facteurs et pratiques entravant l’indépendance de la magistrature comme l’ingérence de l’administration, le phénomène de la corruption. Des facteurs déstructurant l’indépendance de la magistrature sont identifiés : insuffisance de garanties légales, absence d’indépendance financière, la mainmise du ministère de la justice, l’insuffisance des infrastructures, les sollicitations externes ou internes ; les magistrats en besoin de renforcement des capacités.

Enfin, des pistes de solutions ont été tracées. De ce qui précède, les recommandations suivantes peuvent être faites.

1. La Constitution de la République du Burundi devrait être revisitée pour confier l’exercice du pouvoir judiciaire à la Cour suprême et aux autres cours et tribunaux institués par la Constitution et autres lois en termes non ambigus.

2. L’article 112, alinéa 3 de la Constitution de la République du Burundi devrait être reformulée de cette manière : « A l’exception des magistrats du siège nommés par le Président de la République sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, les nominations aux emplois supérieurs telles que précisées à l’article 192, 9° de la présente constitution ne deviennent effectives que si elles sont approuvées par le Sénat ».

3. Pour préserver son indépendance et éviter que le juge ne serve deux maîtres à la fois, l’article 12 du statut des magistrats relatif au serment des magistrats devrait être reformulé pour l’harmoniser avec celui porté par l’article 111 du COCJ.

4. Revisiter la loi régissant la cour suprême dont certaines de ses dispositions (articles 163 et 171) énervent le principe de l’indépendance de la justice et semblent inconstitutionnels puisqu’ils confient le traitement des questions de recevabilité des demandes en justice aux autorités de l’exécutif.

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5. Revisiter l’article 88 du Guide déontologique et disciplinaire du magistrat pour confier la gestion de la discipline des membres du corps de la magistrature et les sanctions aux contrevenants au pouvoir judiciaire.

6. Promouvoir la sécurité judiciaire et la protection des justiciables contre la partialité des juges par la mise en œuvre de la procédure de récusation et d’abstention du magistrat.

7. Renforcer l’indépendance du magistrat par l’approche « pédagogique » du juge dans ses rapports avec le justiciable.

8. Concrétiser l’indépendance du pouvoir judiciaire et garantir la bonne administration de la justice à travers le recrutement des magistrats effectué de manière transparente au moyen d’un concours suivi par une formation initiale des candidats magistrats ayant réussi aux épreuves.

9. Les juges devraient jouir de l’inamovibilité et avoir le droit de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de la retraite obligatoire, à moins que leur état de santé ne justifie un départ prématuré ou que leur conduite ne les rende inhabiles à exercer des fonctions judiciaires.

10. La promotion ou le commissionnement des magistrats devrait se faire en fonction d’une liste d’aptitude et d’un tableau d’avancement ordinaire ou spécial sur lesquels s’inscrit la carrière du juge et pouvant servir à l’autorité d’avancement pour faire son choix en fonction des notes du magistrat.

11. Doter la magistrature des infrastructures considérables à l’image de la Justice.

12. Mettre les magistrats à l’abri de toute tentation et de toute corruption : c’est-à-dire dans une situation confortable de bien-être et d’indépendance et dans une atmosphère de confiance et de non-ingérence.

13. Encourager les magistrats à promouvoir l’exercice du droit syndical.

14. Mettre en place des infrastructures pour permettre aux magistrats d’assister aux séminaires de formation judiciaire tout au long de leur carrière : tous les magistrats doivent être formés avant ou au moment de leur nomination, et doivent également être régulièrement formés tout au long de leur carrière.

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Quelle que soit l’expérience professionnelle des magistrats récemment nommés ou des futurs magistrats, il est nécessaire de les former à des compétences essentielles, qui ne peuvent pas toutes avoir été acquises au cours de leurs études universitaires ou de leurs expériences précédentes.

Les sociétés et leurs paysages juridiques sont en constante évolution. Pour que les magistrats restent à jour, développent et affinent leurs compétences judiciaires, et échangent des idées avec leurs pairs, une formation judiciaire régulière doit se poursuivre tout au long de leur carrière.

15. Revaloriser le statut professionnel du magistrat par des règles strictes de déontologie et de garanties de carrière permettant d’exercer sa profession en toute sécurité et intégrité ; renforcer le régime disciplinaire des magistrats tout en leur garantissant le droit à une procédure transparente et équitable devant le Conseil supérieur de la magistrature.

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BIBLIOGRAPHIE

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