Nouvelle loi communale : points de vue croisés (IWACU)

mercredi 24 avril 2024,par Jean-Bosco Nzosaba

Le projet sur la nouvelle loi communale a été adopté le 11 avril 2024 par l’Assemblée nationale du Burundi et attend d’être approuvé par le Sénat. D’après le ministère de l’Intérieur, la nouvelle loi a été initiée pour impulser le développement local. Un avis qui ne fait pas l’unanimité.

Le ministre de l’Intérieur, Martin Ninteretse, a défendu le projet de loi portant réorganisation de l’administration communale au Burundi.

Il a souligné que pour s’adapter notamment à la loi organique de 2023 portantes déterminations et délimitation des provinces, des communes et des collines ou des quartiers, des changements sont nécessaires dans l’organisation administrative des communes. « La loi communale actuelle a été promulguée le 19 février 2020.
Donc des changements étaient nécessaires pour s’adapter au nouveau découpage et aux besoins des communes », a-t-il indiqué.

M. Ninteretse ajoute que le nouveau projet est une fusion de la loi communale de 2020 et celle portant sur les modalités de transfert des compétences aux communes de 2015. Le nouveau projet de loi s’adapte donc au système de budget-programme.
Une autre innovation est que si une fois la loi est promulguée, les communes ne pourront plus contracter des crédits sans l’approbation du ministère des Finances selon l’article 144.
Le gouvernement, via le ministre de l’Intérieur, motive cet article par la volonté de maîtriser la dette publique. « Nous voulons éviter que les communes s’endettent comme elles le veulent parce qu’une dette communale constitue aussi une dette de l’État. »
L’endettement des communes sera désormais bien suivi
Avec la nouvelle organisation communale, la commune est constituée de trois organes : l’Exécutif communal, le Conseil communal et des organes consultatifs de la commune. La nouvelle loi clarifie que l’administrateur communal ne siège pas au Conseil communal. Dès qu’il est élu et nommé, il est détaché automatiquement. Il ne peut pas être membre de deux organes communaux.D’après le ministre Ninteretse, le projet clarifie aussi que l’administrateur est un mandataire politique gestionnaire de toutes les ressources : financières, matérielles et humaines. Il montre d’où proviennent son salaire et les autres avantages qui vont avec son poste.Simon Bizimungu : « Au Burundi, on vote des lois qui sont impeccables, mais leur mise en application devient problématique ».

De plus, un nouveau service d’audit et de contrôle interne est prévu pour renforcer la bonne gouvernance sans attendre des contrôles ou des inspections extérieurs. Ce sont toutes ces principales innovations que le ministre a présentées aux élus du peuple.

Les députés ont posé des questions notamment sur la non-exigence d’un niveau d’étude de l’administrateur. Selon le ministre, cela ne concerne pas les mandataires politiques. La question de l’exigence de l’approbation du ministre des Finances pour contracter une dette a aussi préoccupé les députés, surtout que la loi vise en premier la décentralisation.

Cette question avait été d’abord posée par la Commission permanente chargée de la bonne gouvernance à l’Assemblée nationale avant d’être posée en séance plénière. Il s’agit de l’idée qui soutient que les communes qui ont des moyens peuvent trouver elles-mêmes des hypothèques.

M. Ninteretse avance que le ministre des Finances doit maîtriser la dette interne et externe de toutes les structures publiques. Il regrette d’ailleurs que, dans le passé, les communes ont contracté des dettes à son insu.

Or, avertit-il, s’il n’en est pas informé, il est impossible d’avoir de vraies statistiques sur la dette. Les députés ont également émis des inquiétudes en rapport avec le payement des dettes des anciennes communes. Le ministre en charge de l’Intérieur, appuyé par le président de l’Assemblée nationale, les a tranquillisés. « Tout sera bien géré, car ce sont des dettes de l’Etat. »
Des attentes qui diffèrent

Le constat est que les avis sur la mise en application de la nouvelle loi communale divergent. Pour Simon Bizimungu, député et membre du parti CNL, le développement local ne sera pas impulsé par la loi communale, mais plutôt par des gens qui seront mis en place pour piloter ce développement. « Au Burundi, on vote des lois qui sont impeccables, mais la mise en application de celles-ci devient problématique », observe cet ancien secrétaire général du parti CNL alors dirigé par le député Agathon Rwasa.

Il doute fort de la mise en application de cette loi, surtout que « ce qu’on a observé chez nous, la modification d’une loi existante est souvent dictée par des visées politiques ».

Pourtant, il trouve que si la nouvelle loi venait à être correctement mise en application, la nouvelle organisation communale pourra être une solution du développement local.

« Certainement, le nouveau découpage administratif va impulser le développement », estime par contre Hamza Venant Burikukiye, représentant légal de l’Association Capes+.

Il trouve aussi que le pouvoir de l’autorité administrative aura beaucoup plus de poids pour mieux se consacrer au développement de la commune avec assez de ressources mises en commun sans les éparpiller. Dans son entendement, il s’agit d’un projet de loi qui contient des mesures prises pour l’intérêt de tous et appréciées par les Burundais.

Surtout que le projet sur le nouveau découpage administratif a été annoncé et expliqué depuis longtemps.
Interrogé sur les enjeux électoraux qui pourraient se cacher derrière, M. Burikukiye n’y va pas par quatre chemins « L’adoption a été faite par les instances constitutionnellement habilitées.

Il n’y a aucune raison de se faire des soucis sur une éventuelle possibilité de quelques enjeux autour des élections de 2025 et 2027. » Et de conclure, « la nouvelle administration et la population n’ont qu’à la respecter et la faire respecter pour l’intérêt commun de développer leur commune. »
« Il faut exiger un niveau d’étude pour l’administrateur »
Jean Nduwimana : « Il faudrait que la loi exige un niveau d’études même pour le chef de colline ou de quartier. »
De son côté, Jean Nduwimana, président et représentant légal de l’Association des jeunes pour la non-violence active (Ajina), constate que le projet présente un caractère exclusif. Il fait remarquer que le projet n’a pas connu de consultations entre les forces vives de la Nation burundaise. D’après lui, le projet contient énormément de lacunes.

Il critique à titre illustratif un article qui stipule que l’administrateur va jouer le rôle de police dans ses activités. Il craint qu’il risque de jouer toutes les fonctions et d’entraver ainsi la séparation des pouvoirs.
Il estime que si l’administrateur est chargé de tous les dossiers, il ne pourra pas impulser le développement, surtout que le projet ne précise pas le niveau d’études exigé pour être administrateur communal. Il faudrait donc que la loi exige un niveau d’études même pour le chef de colline et de quartier.

Bien qu’ils soient des mandataires politiques, ils ont en effet besoin d’un certain niveau minimum d’études pour encadrer la vie entière dans une entité territoriale quelconque. « Comment encadrer un quartier, une ville qui rassemble des fonctionnaires, des intellectuels ; diriger des réunions de développement, … sans un certain niveau d’études ? » se demande notre source. Il pense que ne pas mentionner le niveau d’études est lié aux enjeux électoraux alors que la loi communale devrait viser le développement de la commune. Il propose à la chambre haute de revoir ces « irrégularités » en étudiant à fond le projet pour l’amender encore une fois.

Pour Faustin Ndikumana, directeur national de l’ONG locale Parcem, réorganiser administrativement les entités territoriales est tout à fait normale.
Néanmoins, il constate que toutes les réorganisations administratives ont toujours surgi pendant les périodes cruciales des moments électoraux Il rappelle la création des provinces de Rumonge et Mwaro qui ont chaque fois précédé les échéances électorales à l’époque. « Il y a donc anguille sous roche. »

Selon la nouvelle configuration administrative, les communes sont passées de 119 à 42. Pour Parcem, cette réduction accompagnée d’une bonne organisation pourrait faciliter la redynamisation administrative et le déblocage des moyens suffisants pour qu’une commune puisse être une entité de base viable au niveau de la décentralisation.

Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ma-parole/utiliser-des-arguments-d-autorite-5064208?at_campaign=Facebook&at_medium=Social_media

 

 

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